Les Vikings , réédition du classique de Richard Fleischer

Veni Vidi Vikings

Publication chez Rimini des Vikings, le grand film d’aventures réalisé par Richard Fleischer à la fin des années cinquante. On ne saurait prétendre qu’il n’a pas pris une ride, mais les différents documents qui l’accompagnent dans cette édition méritent tous d’être vus et lus.

Les raisons qui font que le réalisateur Richard Fleischer a de farouches partisans sont les mêmes qui font qu’il a aussi de dédaigneux détracteurs. Barabbas, Soleil vert, Le Voyage fantastique, L’Étrangleur de Boston, Conan le Destructeur, L’Extravagant Docteur Dolittle, Vingt mille lieues sous les mers, Amityville-3D… Tant de versatilité, au sens franglais du terme, autrement dit tant d’adaptabilité, suscite l’enthousiasme des uns. Mais cette même versatilité, au sens français du terme, autrement dit tant d’inconstance, suscite le scepticisme des autres. Artisan, sans doute. Artiste ? C’est une autre affaire… Serge Daney disait de Fleischer que c’était un « auteur sans œuvre ». De fait, des milliers et des milliers de spectateurs sont allés voir des films de Fleischer sans savoir que c’étaient des films de Fleischer. Pour le grand public, Mr. Majestyk, en tout cas au moment de sa sortie, en 1974, était un film « de Charles Bronson ».

Les Vikings, que Rimini vient de rééditer sous la forme d’un combo accompagné d’un livre de Christophe Chavdia intitulé — comme de juste — L’Énigme Richard Fleischer, est un assez bon exemple de la difficulté qu’on peut éprouver face au travail de ce metteur en scène. « Un film réalisé par Richard Fleischer et produit et interprété par Kirk Douglas. » Tout est dit. Personnage attachant, généreux et courageux à maints égards, Douglas peut être aussi un acteur exaspérant, pour ne pas dire un cabot de première, et ses excès, renforcés ici par son statut de producteur – il était surnommé « Kirk von Stroheim » —, viennent parfois compromettre l’harmonie d’un film. L’intrigue des Vikings connaît divers rebondissements, mais, si l’on veut aller vite, elle se caractérise par deux traits majeurs : 1. Elle est construite sur le thème biblique des (demi-)frères ennemis. L’objet de la rivalité est en l’occurrence une reine. 2. D’une certaine manière, le couple est assez « équilibré », puisqu’un frère est borgne et l’autre manchot — seule l’image d’un gigantesque bélier défonçant la porte d’un château fort viendra compenser ces métaphores de castration… —, mais, Bible oblige, le premier sera le dernier, et l’esclave des deux — Tony Curtis, quasi bressonien si on le compare à Douglas — est en fait celui dans les veines duquel coule le sang le plus royal. Cette pirouette narrative a un parfum réactionnaire un peu âcre, mais on considérera qu’elle résulte du genre avec lequel flirtent ces Vikings, à savoir celui du conte de fées.

Ernest Borgnine, Janet Leigh et Kirk Douglas

Avec l’ambiguïté que cela suppose. Conte de fées pour enfants ou conte de fées pour adultes ? Fleischer, dans l’un des bonus proposés par cette édition, fait remarquer que les commentateurs soulignent toujours la violence de certaines scènes — à commencer par la première, pleine de bruit et de fureur —, alors que le sang ne coule que dans un seul plan (celui qui nous fait assister à l’éborgnement de Kirk Douglas par un faucon). Mais c’est justement ce qui fait que le spectateur est un peu perdu : beuveries, pillages, viols, meurtres… ce qui se passe sur l’écran relève souvent de l’horreur la plus pure, mais le fait que cette horreur soit systématiquement suggérée plutôt que montrée fait qu’il arrive que certaines scènes évoquent plus les pitreries de Terence Hill et Bud Spencer que les visions de Soldat bleu. John Barry aurait un jour déclaré qu’il avait senti naître en lui le désir d’écrire de la musique de film en entendant les compositions de Mario Nascimbene pour ces Vikings, mais lui n’a jamais accompagné — sauf lorsque la tonalité générale était ouvertement parodique — des séquences de combats avec une musique guillerette.

Kirk Douglas dans le rôle de sa vie

Qu’on nous comprenne bien : nous ne sommes pas en train de regretter le manque de scènes gore dans Les Vikings. Nous regrettons simplement de ne pas y trouver une véritable unité de ton, et il n’est pas exclu que cette hétérogénéité soit due au fait que le réalisateur devait le plus souvent se soumettre aux diktats de son producteur/vedette. « J’ai survécu à Kirk Douglas », a dit un jour en riant Fleischer. Mais il n’est pas sûr qu’il suffise de survivre pour réaliser un film au sens plein du terme. En un mot, ces Vikings continueront d’impressionner tous ceux pour qui ils représentent un souvenir de jeunesse imprégné d’un parfum de transgression. Ils impressionneront moins ceux qui, jeunes ou vieux, les découvriront pour la première fois aujourd’hui. Certes, d’aucuns viendront nous expliquer que d’énormes recherches historiques ont sous-tendu toute l’entreprise – on ne disposait pas des ressources de l’infographie dans les années cinquante et on construisait de vrais bateaux pour un film comme celui-ci – et que la barbarie des Vikings justifie certains de ses aspects enfantins (Douglas explique d’ailleurs que ce film était pour lui un rêve de gosse). Soit, mais on a de ce fait bien du mal à trouver dans cette histoire, ou plutôt dans cette chronique, quelque personnage que ce soit à qui l’on puisse raisonnablement s’identifier, puisque les pulsions sont présentées de manière caricaturale. Nos « héros » rient toujours à gorge invraisemblablement déployée, et l’on ne s’étendra pas sur le machisme affligeant de certains de leurs dialogues, qui pouvait passer en 1958, mais qui aujourd’hui mettrait en émoi le CSA.

Kirk Douglas et Tony Curtis sur le tournage des Vikings

Cela dit, quelles que soient les réserves qu’on peut adresser au film lui-même, le coffret édité par Rimini ne laisse pas d’être remarquablement intéressant. Une interview d’époque de Kirk Douglas montre que, paradoxalement, son cabotinage n’excluait pas une véritable réflexion sur son métier d’acteur. Une interview de Fleischer, qui n’est pas loin d’être un making of, souligne l’importance de la photographie de Jack Cardiff et du montage (jamais plus de trois coups d’épée dans un même plan — au quatrième les acteurs perdent de leur concentration et risquent fort de se blesser « pour de vrai »). Et puis il y a le livre — déjà mentionné — de Christophe Chavdia, sur Fleischer en général et sur Les Vikings en particulier, mais même la partie traitant des Vikings dépasse de loin Les Vikings. La page consacrée, par exemple, aux exigences différentes des censures suivant les pays est à la fois drôle et édifiante. Celle qui traite du marketing publicitaire montre qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Bref, ne craignons pas de dire, au risque d’employer un cliché, que l’histoire de la fabrication du film est sans doute plus passionnante que celle que raconte le film.

FAL

Les Vikings. Réalisé par Richard Fleischer. Produit par Kirk Douglas. Avec Kirk Douglas, Tony Curtis, Ernest Borgnine, Janet Leigh. Rimini Éditions. B-r (29,99 eur) et DVD (11,95 eur).

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