Lettre à ce prof qui a changé ma vie, enseigner la Liberté

Que faut-il de plus pour un professeur, qui a la fonction d’enseigner chevillée au corps, que de voir, parfois, une petite lueur s’allumer dans le regard d’un élève ? Si les professeurs ne croient plus à la mission d’instruire et d’enseigner — parce que le Ministère n’y croit plus non plus —, celle de transmettre demeure inchangée. Sauf quelques-uns qui se plaignent tout le temps mais ne connaissent de la vie que la salle de classe, dans laquelle ils ont simplement changé de position et sont passés de l’autre côté du bureau, et qui ânonnent un cours sans saveur pour eux non plus, le beau métier d’enseigner peut se résumer à cela : ouvrir une porte, faire naître un sourire, montrer un chemin. Quarante personnalités se sont réunies en hommage à Samuel Paty pour, chacune, dire quel professeur est resté dans leur mémoire, et pourquoi. Ainsi de l’immonde barbarie naît l’espoir et la confiance avec ce petit livre : Lettre à ce prof qui a changé ma vie.

Parler de lui, parler de soi

Si, des années plus tard, on se souvient de tel ou tel, dans la masse des enseignants qui ont traversés nos vies, c’est qu’il avait quelque chose de particulier. Soit une lumière et une grâce qui lui donnait cette force particulière. Soit un excentrique sortant du rang. Ou bien encore cette dame qui fait confiance et tente d’apprivoiser, par la grâce de son intelligence et de son humanité, l’étudiante revêche et âpre qu’était alors la romancière Sophie Blandinières (1). Ce mot de Philippe Torreton qui dit si magnifiquement « Merci mes Pères de France. » Et puis cette lettre magnifique qu’Henri Lœvenbruck adresse à ses parents, tous deux profs, « de ces profs qui ont changé la vie de centaines, que dis-je, de milliers de gosses ! »

Il y a des professeurs qui dépassent la norme scolaire pour en faire une leçon de vie particulière. Il y a des profs qui m’ont sauvé la vie. Elle était notre prof de français, elle était de ceux-là. […] je mesure l’immense don qu’elle nous faisait, jour après jour. Elle n’était pas parfaite, loin de là, mais avec une grâce infinie elle avait l’art, car il s’agit bien de l’art d’enseigner, de nous faire découvrir les écrivains et leurs œuvres comme s’il s’agissait d’amis proches. […] Ma mémoire s’enfuit, mais cette femme reste en moi comme une héroïne, une déesse, comme tous ces professeurs courageux que l’on voudrait faire disparaître et qui pourtant sauvent l’essentiel d’une société : l’âme.

Charles Berling

Plusieurs niveaux, plusieurs matières (français, histoire, sciences, psycho, etc.), parfois plusieurs profs — parfois on n’ose pas en désigner un, par choix ou pudeur —, mais toujours dans ces textes qui ne s’enchaînent que par la logique alphabétique des auteurs engagés, un immense remerciement. La reconnaissance qu’être soi, c’est avoir pu l’être par le contact d’un autre, qui vous a aidé à devenir. Le prof n’est rien qu’un passeur, de soi à soi. Mais comment devenir soi sans ce passeur ? Et comment plaindre ceux qui n’ont pas eu joie de croiser un tel prof.

Et quel enseignant n’a-t-il pas été ému de savoir, des années plus tard, le rôle qu’il a joué dans la vie de ses anciens élèves ? Ces quarante auteurs et ce Lettre à ce prof qui a changé ma vie rendent un bel hommage à la transmission, et à l’amour de transmettre, qui donne sens au métier de prof.

Loïc Di Stefano

Lettre à ce prof qui a changé ma vie, Pocket / Robert Laffont, 156 pages, novembre 2020, 5 eur (bénéfices reversés à l’ONG Bibliothèques sans frontières)

Avec la participation de : Abd Al Malik, Aline Afanoukoe, Albert Algoud, Anouk F., Jérôme Attal, Charles Berling, Nicolas Beuglet, Sophie Blandinières, Anne-Laure Bondoux, Françoise Bourdin, Cali, Marie Darrieussecq, Rokhaya Diallo, Irène Frain, Raphaëlle Giordano, Héloïse Guay de Bellissen, Serena Giuliano, Marius Jauffret, Jul, Caroline Laurent, Marc Levy, Henri Lœvenbruck, Mathias Malzieu, Agnès Martin-Lugand, Nicolas Mathieu, Fabrice Midal, Bernard Minier, Thibault de Montaigu, Plantu, Josef Schovanec, Romain Slocombe, Tatiana de Rosnay, Camille Pascal, Christiane Taubira, Sylvie Testud, Franck Thilliez, Philippe Torreton, Séverine Vidal, Jacques Weber, Bernard Werber

(1) J’admirai déjà Sophie, assise à quelques rangs de moi, dans cette khâgne du Lycée Blomet qui fut nos si belles années. Mais qu’elle était dure avec elle-même et avec le monde alentour ! L’amitié qu’elle a pu tisser avec la gardienne de notre temple a toujours été vécu par nous comme un passe-droit mérité, légitime, un adoubement et une grande estime réciproque. Elle avait, cette vieille dame toute douce, Madame Lucienne Ducroquet, la malice encore dans le regard et une finesse d’intelligence rarement vue depuis. La bonté et l’exigence qui porte à aller toujours un peu au-delà.