Lucio Fulci grand maître du cinéma gore italien dans les années quatre-vingt

Veni Vidi Fulci

 

Frayeurs, L’Enfer des zombies, L’Au-delà… On n’arrête pas de mourir, et souvent de la manière la plus atroce qui soit, dans les films de Lucio Fulci, grand maître du cinéma gore italien dans les années quatre-vingt. Mais les rééditions en Blu-ray chez Artus de plusieurs de ses films  montrent que son cinéma garde encore une belle vitalité.

 

L’Histoire en général et l’histoire du cinéma en particulier offrent parfois des retournements surprenants. Dans les années quatre-vingt, le public du Festival du Film fantastique au Grand Rex manifestait un enthousiasme proche du délire chaque fois qu’était présenté un film d’horreur de Lucio Fulci, mais la majorité des critiques étaient prêts à parier que toute cette partie de son œuvre, pour ne pas dire toute son œuvre, allait très vite tomber dans les poubelles de la série B. Fulci, au fond, n’était qu’un touche-à-tout, qu’un mercenaire sautant sans vergogne du giallo au western, du film historique à la farce (on peut même croiser Francis Blanche dans une comédie affligeante, sortie en France sous le titre Obsédé malgré lui, et les courageux pourront toujours s’aventurer à regarder Dracula in Brianza, avec dans le rôle du comte Lando Buzzanca ‒ le coiffeur italien jaloux dans Le Corniaud). En tout, une soixantaine de films.

Avec, donc, un faible pour ce gore qui faisait la joie des spectateurs du Rex : une énucléation par-ci, une éventration par-là, une cervelle jaillissant un peu plus loin d’un crâne écrasé, là encore un gros plan sur une langue piquée par une araignée tueuse, ou alors la longue mèche d’une perceuse électrique traversant d’une oreille à l’autre la tête d’un jeune homme qui n’avait pas l’heur de plaire au père de sa petite amie… Loin d’être exhaustive, cette brève liste suffira sans doute à déculpabiliser ceux qui ne connaissaient pas Fulci : ils ont bien raison de ne pas le connaître.

 

 

Seulement, comme le dit la comédienne franco-anglaise Catriona MacColl, qui joua dans trois de ses films (et que les téléspectateurs français vespéraux connaissent pour l’avoir vue dans plusieurs épisodes de Plus belle la vie), « qu’on le veuille ou non, même si les raisons sont difficiles à analyser, il existe bel et bien un héritage de Fulci. Fulci était un personnage énigmatique, insondable. Sans doute est-il dans la logique des choses que son héritage soit nimbé de mystère. Si l’on part du principe qu’un film est une osmose, il a dû y avoir dans ses films, due au hasard peut-être, la combinaison harmonieuse de différents éléments. » Pour être franc, sans pour autant renier son travail (comme sa consœur Mimsy Farmer peut renier aujourd’hui la quasi-totalité de sa « période » italienne), Miss MacColl ne tenait pas un tel discours il y a vingt ans ; elle le tient aujourd’hui lorsque, conviée à participer à des hommages ou à des rétrospectives Fulci, elle est bien forcée de constater qu’il existe, trente-cinq ans plus tard, un public pour ces films. Le confirment les sorties récentes ou à venir, chez Artus, de plusieurs Blu-rays, chacun assaisonné de divers bonus et d’un docte livret.

 

 

Combinaison harmonieuse, mais dans laquelle le gore était peut-être l’arbre qui cache la forêt. Christophe Gans fut l’un des premiers à sentir ‒ et à faire sentir, dans ses articles écrits pour L’Écran fantastique ‒ que Fulci était, comme beaucoup d’artistes, victime d’un malentendu. Le gore qui faisait son succès auprès du public de L’Au-delà ou de L’Enfer des zombies n’était probablement pas la partie de son œuvre à laquelle il tenait vraiment. Regardez n’importe quelle photographie de Fulci : son allure ‒ souvent d’ailleurs assez proche de celle d’Ennio Morricone ‒ de petit fonctionnaire des impôts a tôt fait de vous convaincre que son Grand-Guignol n’était pas du guignol. Pas totalement en tout cas.

C’était du guignol dans la mesure où les effets spéciaux de l’époque étaient encore grossiers. Lorsqu’une jeune fille vomissait ses propres entrailles, le moins averti des spectateurs voyait bien qu’à son visage s’était substituée une réplique en bois. Quant aux maquillages de morts-vivants, ils évoquaient trop ceux d’une Halloween party pour être en soi effrayants. Au fond, Méliès n’était pas si loin. Tournées aujourd’hui avec les ressources infinies de l’infographie, de telles images seraient beaucoup plus réalistes, et sans doute parfaitement insupportables, mais leur caractère grossier, primitif, compensé uniquement par un travail constant, à l’italienne, sur les couleurs et la lumière ‒ un des directeurs de la photographie de Fulci ne cache pas son émotion quand il évoque sa collaboration avec lui ‒, fait qu’elles n’étaient, qu’elles ne sont qu’un paravent.

 

 

Paravent ou, plutôt, d’une certaine manière, métaphore. La mort physique sur l’écran de Fulci est représentation de la mort métaphysique. Avant de devenir cinéaste, il avait fait des études de médecine. Au fond, ce qui l’obsédait dans toutes ses variations funèbres, ce n’était probablement pas tant le désir de mettre en scène la mort de ses personnages que celui de trouver, à travers leur décomposition récurrente, permanente, le principe qui fit d’eux, dès le départ ‒ et c’est probablement pour cela qu’on croise un certain nombre d’enfants chez Fulci ‒ des mortels. Car c’est dans cette décomposition obsessionnelle qu’il faut sans doute trouver la « combinaison heureuse » évoquée par Catriona MacColl. Allez, spolions tout sans rien spolier du tout : chez Fulci, tous les personnages sont déjà morts dès le départ ; l’Au-delà commence dès l’Ici-bas. Même s’il nous plaît d’imaginer aussi longtemps que possible le contraire, notre vie est terminée dès lors qu’elle commence. Certes, la biographie n’explique pas tout, mais il n’est pas inutile de savoir que Fulci a tourné ses derniers films ‒ qui plus est, avec trois francs six sous ‒ alors qu’il était en proie à de très graves ennuis de santé

 

 

Bien sûr, on pourra toujours regretter ‒ au-delà de cette esthétique gore et évidemment outrée dont nous parlions et qui ne saurait séduire la critique éclairée ‒ le caractère profondément désespéré de ses films fantastiques. Mais il n’est pas interdit de voir aussi dans ses zombies se relevant sans cesse après chaque coup de feu censé les abattre l’image de Fulci lui-même et de l’Artiste en général refusant jusqu’au bout de déposer les armes, vaincu comme tout un chacun par la mort (1), mais se jouant d’elle post mortem à travers les rééditions régulières de son œuvre, qui sont évidemment autant de résurrections.

 

FAL

 

(1) Selon certains, il n’est pas exclu que sa mort ait été un suicide ‒ peut-être a-t-il volontairement oublié de prendre un soir l’insuline nécessaire à la survie du diabétique qu’il était. Mais, quoi qu’il en soit, Fulci réalisateur aura tourné avec acharnement jusqu’à son dernier souffle.

 

A suivre, l’Entretien avec Lionel Grenier, maître d’œuvre de la collection Lucio Fulci chez Artus Films

 

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