Lucio Fulci grand maître du cinéma gore italien dans les années quatre-vingt

Entretien avec Lionel Grenier, maître d’œuvre

de la collection Lucio Fulci chez Artus Films

 

Boojum. Avez-vous été un fulciste de la première heure ?

Lionel Grenier. Étant donné mon âge, je ne puis me vanter d’avoir été un « fulciste » ou un « fulciologue » de la première heure. Je devais avoir dix ans quand j’ai commencé à découvrir le cinéma de Lucio Fulci, au début des années quatre-vingt-dix. Avant que je ne me lance dans l’exploration de sa filmographie à travers mon site luciofulci.fr ou à travers d’autres projets, des aînés, certainement plus illustres que moi, avaient déjà œuvré pour sa reconnaissance. Je pense bien évidemment à Christophe Gans à travers ses écrits « de jeunesse » ou ses interviews, à Norbert Moutier qui a publié un numéro du fanzine Monster Bis écrit par Olivier Billiottet, ou à Gilles Esposito qui a, entre autres, écrit un texte sur la parenté entre Hitchcock et Fulci dans ses gialli. Et il ne faut pas oublier le travail de feu l’éditeur de DVD Neo Publishing avec les suppléments de Daniel Gouyette et Federico Caddeo. À l’étranger, il y a bien sûr le Britannique Stephen Thrower, qui vient de rééditer son livre Beyond Terror, et aussi les Italiens Paolo Albiero et Giacomo Cacciatore et leur ouvrage monstre qui est, pour moi, l’équivalent de la somme que Tim Lucas a publiée sur Mario Bava.

J’ai découvert Fulci avec L’Au-delà, L’Enfer des zombies et Le Miel du diable. Je me souviens d’une copie horrible pour le deuxième, avec un recadrage abominable et des coupes systématiques. La jaquette du Miel du diable vendait le film comme un film fantastique, ce qu’il n’est pas. Du coup, mes camarades avaient été déçus, alors que moi-même, j’avais été fasciné par ce que je venais de voir. Pour L’Au-delà, je ne pense pas faire preuve d’une grande originalité en disant que le finale m’a hanté un bon moment. Donc, mes trois premiers Fulci m’ont marqué instantanément, mais pour des raisons différentes. Et pas forcément pour le gore, même si, au départ, c’est ce que j’étais venu y chercher.

 

Ne se trompe-t-on pas quand on retient presque exclusivement les films d’horreur de Fulci, en oubliant des films comme Au Diable les anges ou Les Quatre de l’Apocalypse ?

Cela a été vrai pendant longtemps, mais je pense qu’aujourd’hui beaucoup connaissent et apprécient certains de ses gialli, certains de ses westerns, et je vois souvent Beatrice Cenci (Liens d’amour et de sang) figurer parmi les dix Fulci préférés des amateurs. Cette évolution s’explique par le fait que les films en question sont de plus en plus visibles et dans des conditions qui ne cessent de s’améliorer.

Il est vrai aussi que, chez les premiers défenseurs de Fulci, il y avait cette idée selon laquelle le cinéaste avait trouvé sa voie dans le gore, et avec la complicité d’une équipe technique fidèle. Mais il faut préciser que Fulci a fait de très bons films sans sa squadra : Le Temps du massacre, Perversion Story, Beatrice Cenci, et, dans une moindre mesure, Le Miel du diable. Et La Longue Nuit de l’exorcisme ou L’Emmurée vivante sont très appréciables, même s’ils sont gore-free !

 

 

Certes, d’un point de vue professionnel, l’horreur a offert un tournant international à la carrière de Fulci alors que, dans la comédie, il était enfermé parmi les réalisateurs de seconde zone, très loin derrière un Dino Risi, par exemple. Cependant, je pense qu’il est erroné de penser qu’il n’était qu’un simple technicien sur ses comédies. Obsédé malgré lui n’est pas seulement une comédie appréciable ‒ c’est aussi une œuvre personnelle, tout aussi personnelle que peuvent l’être L’Au-delà, Voix profondes ou Beatrice Cenci.

En fait, Fulci se considérait comme un « terroriste des genres », non pas à travers son recours à la violence, mais par le détournement des codes du genre même qu’il abordait. En cela, la naissance de Fulci cinéaste ne date pas du Temps du Massacre avec la fameuse scène du fouet, mais de l’époque du duo comique Franco et Ciccio avec lequel il dynamitait différents genres à travers la parodie. De même, du point de vue de la mise en scène, c’est dans la comédie qu’il s’est cherché avec, notamment, son utilisation du zoom combiné à un mouvement de caméra.

 

Quel a été votre rôle exact dans les rééditions de Fulci chez Artus Films ?

Alors que je venais de finir mon travail sur l’édition de La Longue Nuit de l’exorcisme (éd. Le Chat qui fume), Thierry Lopez, d’Artus Films, m’a contacté parce que son associé et lui venaient d’acheter les droits de L’Enfer des zombies, Frayeurs, et L’Au-delà. C’est Alain Petit, l’un des plus grands spécialistes du western européen, qui avait dû lui souffler mon nom.

Il fallait trouver l’art et la manière de vendre des films que les fans avaient déjà sur différents supports (VHS, Laserdisc, DVD et même Blu-rays étrangers avec sous-titres français pour L’Enfer des zombies et Frayeurs). C’est la raison pour laquelle aucun éditeur français ne s’était risqué à sortir ces films en France, malgré leur popularité. Il est plus facile de sortir un inédit, même quand il ne s’agit pas d’un chef-d’œuvre : le coût est moindre et il y a l’attrait de la découverte. Nous avons donc opté pour la complémentarité, étant conscients du fait que les fans ne jettent jamais leurs éditions précédentes. Donc, dans la partie audiovisuelle, nous avons voulu interviewer des gens qui n’étaient pas forcément présents sur les éditions Neo (exception faite pour le scénariste Dardano Sacchetti, qu’il fallait avoir au moins sur un des titres). C’est Federico Caddeo qui s’est chargé des intervenants italiens. De mon côté, je me suis occupé de l’entretien en deux parties avec Catriona MacColl et j’interviens moi-même pour présenter et analyser chacun des films.

Sur la forme, il fallait marquer le coup. Comme Artus édite également des livres sur le cinéma de genre, nous avons pensé que le format digibook serait parfait. L’objet ressemblerait à un livre relié offrant un « éventail » qui partirait du film pour aborder une thématique plus large : les zombies italiens pour L’Enfer des zombies, la Louisiane dans le cinéma horrifique pour L’Au-delà et Lovecraft pour Frayeurs. Il fallait éviter d’être répétitif, défaut propre à certaines collections.

 

Êtes-vous à la tête d’une organisation secrète qui ressemblerait à une « Société des amis de Lucio Fulci » ?

Je suis déjà à la tête de luciofulci.fr ‒ c’est déjà pas mal ! Avec mon site, dès que je peux, je parle de tous ceux qui font vivre l’œuvre de Fulci en les interviewant ou en évoquant leur travail. Pour les livrets Artus, j’ai immédiatement pensé à Gilles Vannier de psychovision.net pour un texte sur la figure du zombie chez Fulci. Il connaît très bien l’œuvre du cinéaste. Nous avons co-écrit un petit texte sur Le Porte del Silenzio pour l’édition collector de L’Au-delà, et il s’est chargé du texte sur la Louisiane dans le cinéma d’horreur. J’ai aussi convié à la fête des gens comme David Didelot du blog Videotopsie ou Didier Lefèvre du blog Medusa Fanzine, qui ont toujours proclamé leur amour pour Fulci dans leurs écrits. Et j’espère que d’autres occasions se présenteront…

 

La provocation des zombies de Fulci dans les années quatre-vingt garde-t-elle toute sa force aujourd’hui ?

Je vais enfoncer une porte ouverte en disant que les zombies se sont aujourd’hui généralisés, tout comme la violence. En revanche, je pense que les zombies de Fulci font toujours leur effet, même sur un jeune public. Et cela, on le doit au merveilleux travail du maquilleur Giannetto De Rossi.

S’il faut citer des héritiers avoués de Fulci, citons Eli Roth et Quentin Tarantino, mais quel cinéaste italien ce dernier n’aime-t-il pas ? Sinon, en Espagne, il y a Nacho Cerda et en France, Christophe Gans ou Pascal Laugier.

 

Il semble que Catriona MacColl n’ait pas toujours tenu le même discours sur les films de Fulci dans lesquels elle est apparue…

J’apprécie beaucoup Catriona MacColl, mais je ne prétends pas savoir ce qu’elle ressent vraiment ! D’après moi, elle a toujours pensé la même chose, mais elle ne l’a pas forcément exprimée de la même manière. Elle a refusé L’Éventreur de New York sans même avoir lu le scénario parce qu’elle ne voulait pas être cataloguée dans le cinéma de genre italien. À cette époque, la qualité des productions commençait à décliner et surtout, c’était mal vu par la profession. Aujourd’hui, elle peut en parler plus librement parce que ce cinéma est reconnu et, paradoxalement, c’est son travail pour Lucio Fulci qui lui a permis d’être dirigée par des cinéastes tels que Pascal Laugier ou Richard Stanley. Je la crois parfaitement sincère quand, dans l’interview qu’elle m’a accordée pour le Blu-ray de L’Au-delà, elle parle du respect qu’elle avait pour Fulci, dès l’époque où elle jouait dans ses films.

 

 

Artus Films va aussi sortir Selle d’argent ‒ encore un film de Fulci, mais cette fois-ci, un western…

Je suis très heureux qu’Artus Films sorte Selle d’argent. L’éditeur voulait relancer sa collection de westerns européens en passant, là aussi, au Blu-ray. Un Fulci totalement inédit avec en vedette Giulano Gemma était un bon moyen d’attirer l’attention. Il s’agit d’un western plutôt familial, de bonne facture. Puisqu’il est totalement inédit en France, il n’y a pas de version française. Je présente le film selon l’axe Fulci, et Alain Petit, lui, le fait dans le contexte du western européen. Il y a aussi quelques interviews vidéo, un prologue alternatif et ceux qui ont précommandé ce B-r sur le site de l’éditeur ont reçu, gratuitement, l’adaptation BD du film.

Christophe Cosyns, patron de The Ecstasy of Films, travaille dur sur L’Éventreur de New York, qui est un film qui lui tient beaucoup à cœur. Je suis ravi de collaborer de nouveau avec lui et d’écrire pour ce titre le texte du livret de présentation, car il avait été le premier à me faire confiance en me demandant d’écrire, il y a cinq ans, le livret du poliziottesco de Fulci La Guerre des gangs. J’ai cru comprendre qu’une édition de La Maison près du cimetière se préparait chez un autre éditeur ; je n’y jouerai aucun rôle, mais tant mieux si le succès des éditions d’Artus Films suscite des vocations !

 

Propos recueillis par FAL

 

L’Enfer des zombies, avec Ian McCullogh et Tisa Farrow. [Édition Collector Blu-ray + DVD + Livre, 29,99 euros]. Déjà sorti.

L’Au-delà, avec Catriona MacColl et David Warbeck [id.]. (Sortie prévue pour octobre.)

Frayeurs, avec Catriona MacColl et Christopher George [id.]. (Sortie prévue pour novembre.)

Tous ces titres, ainsi que Selle d’argent, western « familial » de Fulci, avec Giuliano Gemma (sortie prévue pour octobre), sont édités chez Artus Films.

 

 

 

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