Abimagique, le mystère féminin

Une légende de la science-fiction américaine

Présenter Lucius Shepard (1943-2014) est un exercice délicat tant le bonhomme, ancien bourlingueur passé par l’atelier d’écriture Clarion, avait réussi à conquérir le cœur et l’âme de nombreux aficionados sans pour autant décrocher le succès public qu’il méritait, malgré un prix Hugo du meilleur roman court pour Bernacle Bill le spatial (qu’on peut retrouver dans Sous des cieux étrangers, anthologie éditée par Le Bélial). Abimagique est aussi un court roman, une novella, que les éditions Le Bélial publient aujourd’hui dans leur fameuse collection « Une heure lumière ». Drôle d’histoire qui voit Shepard se confronter à… la femme. 

Femme et sorcière ?

 C’est la fille coiffée style Halloween. Coupe Morticia Addams, teinture noire de jais, mèches orangeées asymétriques. Elle a vingt-quatre ou vingt-cinq ans. Une femme-enfant, songes-tu, qui dévore des biographies d’empoisonneurs célèbres et s’est affublée des piercings les plus douloureux du marché. De la chair à goth typique. »

Il rencontre Abi dans un restau Teriyaki à Seattle. Il tombe amoureux d’elle instantanément et entreprend de la séduire. La première fois qu’ils font l’amour, elle le surprend :

 […] elle pose une main au creux de tes reins et presse avec force du bout des doigts, manipulant les nerfs et les muscles à cet endroit. »

Abi est une sensuelle qui le rend raide dingue. Et quand son vieux pote Gerald se moque de son gros cul, comme il dit, il prend sa défense et rompt avec lui. Abi est pourtant spéciale : elle a ses manies, croit dans une apocalypse imminente, suit un régime alimentaire spécial et a un aquarium sans poissons. Quand un type qui se déplace à l’aide d’une canne l’aborde pour lui parler d’elle, il choisit de l’écouter. Abi, ou plutôt Abimagique, a déjà exercé ses talents sur plusieurs hommes. Elle en a rendu certains paraplégiques. Il écarte le bonhomme mais se pose plein de questions. Abi serait-elle plus qu’une femme ? Toujours fou d’elle, il accepte de l’aider dans certains rituels…

Une histoire envoutante

Comme d’habitude, la maestria de Shepard nous emmène loin de nos terrains de jeux habituels. Abimagique, au fond, est une histoire de sorcière qu’aurait pu écrire un Neil Gaiman (pour un résultat complètement différent). Shepard raconte ici une histoire d’abord et avant tout sensuelle : on voit réellement le narrateur tomber fou amoureux d’Abi, qui l’aime aussi mais à sa manière. Car elle cherche à sauver le monde de la catastrophe orchestrée par… Dieu. Ce dernier joue avec les hommes qu’il a créé, il est un dieu sévère (on est pas loin de certaines croyances gnostiques) tandis qu’Abi personnifie la terre nourricière et veut se servir de l’énergie sexuelle dégagée par ses étreintes pour pénétrer un niveau supérieur de magie. Est-elle folle ?

Shepard nous livre un conte sur la femme totalement fascinant et bien sûr une réussite complète.

Sylvain Bonnet

Lucius Shepard, Abimagique, traduit par Jean-Daniel Brèque, illustration de couverture d’Aurélien Police, Le bélial, « une heure lumière », août 2019, 112 pages, 8,90 eur

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