Les Misérables, mini-série de Marcel Bluwal
Les Misérables ? Autant dire Les Increvables, puisqu’il y a déjà eu à travers le monde, sous une forme ou sous une autre, à peu près quatre-vingts adaptations du roman de Hugo au cinéma et à la télévision. On peut voir en ce moment dans les salles un Jean Valjean (réalisé par Éric Besnard) ; se profile pour l’année prochaine une série avec Vincent Lindon dans le rôle de Jean Valjean et Tahar Rahim dans celui de Javert ; et ressort chez Elephant Films la « mini-série » – deux fois deux heures – réalisée par Marcel Bluwal il y a un demi-siècle.

Disons-le tout de suite, nonobstant tous les progrès techniques dont on dispose aujourd’hui pour restaurer les films, le produit qui nous est proposé pour ce qui fut la première adaptation télévisée française en bonne et due forme des Misérables laisse beaucoup à désirer : image souvent floue, dialogues parfois peu audibles. Le Dom Juan du même Marcel Bluwal a été bien mieux traité. Mais osons dire aussi que ce « coup de vieux » ne nuit finalement pas à l’ensemble : c’est un peu comme la patine des vieilles statues. Car il s’agit là, à maints égards, d’une production télévisée comme on n’oserait plus en faire, puisqu’elle présuppose un minimum de culture historique et d’intelligence chez le spectateur. Bien évidemment, Bluwal ne se dispense pas de traiter les chapitres des Misérables que tout le monde connaît (le seau de Cosette, les chandeliers de Mgr Myriel…), mais il le fait chaque fois assez vite (l’épisode de la pièce de Petit Gervais est même omis, tout comme celui de la poupée de Cosette), préférant souvent l’allusion via la voix off et réservant ses cartouches pour les aspects politiques du roman. La chronologie de celui-ci n’est d’ailleurs pas respectée, puisqu’il faut attendre un certain temps avant que Jean Valjean (interprété par Georges Géret) n’apparaisse ; la première partie de son « aventure » est présentée sous la forme d’un flashback. Bluwal ne se gênait pas pour dire qu’il était communiste bon teint – en tout cas à l’époque où il réalisa ces Misérables –, et c’est dans la rue, au cœur de la foule, et non en se concentrant sur des individus qu’il entame son récit, à l’issue d’un montage-poème qui semble annoncer que le personnage principal du roman n’est autre que Paris.
On pourrait bien sûr craindre que cette approche ne laisse en plan la moitié des Misérables, puisque le génie de Hugo dans ce roman consiste à faire passer des développements théoriques à travers l’exposé de destins individuels – mélodramatiques peut-être… et alors ? –, mais Bluwal et son directeur de la photographie, André Bac, manient leur caméra avec une virtuosité nonpareille – d’autant plus étonnante que les caméras étaient encore bien lourdes en 1972 – qui respecte constamment cette dualité : des espèces d’arrêts sur image sur tel ou tel individu au milieu d’une scène de foule nous rappellent que l’Histoire, si « grande » soit-elle, est toujours la somme de petites histoires vécues par des citoyens lambda. Cette caméra virevoltante, soutenue régulièrement par le Requiem de Verdi, est comme une ouverture sur cet au-delà qui hante toute l’œuvre de Hugo.
FAL
Les Misérables. Réalisateur : Marcel Bluwal. Avec Georges Géret, Bernard Fresson (Javert), Alain Mottet Thénardier), François Marthouret (Marius), Nicole Jamet (Cosette). Prod. : France, 1972. Sortie DVD : novembre 2025. 24,99 euros.
