Metin Arditi, Le Bâtard de Nazareth

Quand un érudit s’empare d’un immense sujet et lui apporte la belle lumière romanesque, cela donne une réécriture crédible de l’Histoire. C’est ainsi que Metin Arditi s’est plu à rêver de la genèse de la part chrétienne de Jésus dans Le Bâtard de Nazareth.

Et si…

Posons ceci : Jésus est le fruit d’un viol commis sur la « pauvre en esprit » Marie par le légionnaire romain Pantera. Qu’il est traité de mamzer (bâtard) par tous et que personne ne veut jouer avec lui. Que Marie est une sota, impure rejetée par la Loi juive mais accueillie avec tendresse par le charpentier Joseph, un homme bon. Il en naîtrait chez plus d’un du ressentiment. Jésus est un enfant particulièrement éclairé, qui met en difficulté son précepteur dans leurs discussions sur les Textes sacrés de la Loi juive. Et quand il vient à Jérusalem, avec ses parents, il met à leur tour en difficulté quatre docteurs de la Loi qui discutent sur le bien fondé de l’exclusion du peuple juif des éléments l’affaiblissant, car Jésus leur oppose la bonté que l’on devrait manifester envers ceux qui sont déjà d’innocentes victimes, nées pour être désignées coupables par l’intransigeance de savants éloignés de la réalité des souffrances du peuple.

Jésus était ivre de colère. Allait-il passer sa vie à courber l’échine, à voir sa mère bafouée à cause de Lois injustes ? Il les aurait battus au sang, ces quatre docteurs. Et qu’était cette religion qui humiliait l’innocent et obéissait celui qui obéissait sous la menace ?

Jésus est encore jeune, et plein de cette colère qu’il ne contrôle pas mais désigne aussi en lui la source d’une force qui puissamment le guide. Ses parents sont fiers de son esprit et de sa bonté naturelle, mais commencent à craindre que sa fougue juvénile ne s’apaisent pas. La violence de Jésus est connue, c’est un fait, notamment quand il s’en prit physiquement aux marchands du Temple. Qu’un homme de paix puisse avoir tant de colère en lui, comment est-ce concevable ? Peut-être parce que ce n’est qu’un homme, savant dans les Ecritures et très bienveillant envers son prochain, et qui ne souhaite qu’une chose : « Une lecture plus juive de la Loi juive. » C’est ce qui va l’opposer constamment aux érudits et au Sahendrin : que le peuple juif ne se purifie pas en rejetant les faibles et les disgraciés, mais se conforte dans l’amour de son prochain et s’ouvre à la générosité absolue.

Jésus et Judas

Pour qu’un homme ayant tant d’amour en lui, une si belle prestance, et la connaissance du Verbe, fasse son chemin, il lui fallait un affidé. Ce sera Judas Iscariote, dernier à rejoindre le cercle restreint de ses plus fidèles, mais le plus fervent. Sa laideur est inversement proportionnelle à son intelligence, sa rouerie même, parce qu’il a un dessein. Entre Jésus et lui, un pacte a été scellé : le premier convainc les foules par ses sermons, le second organise. Mais il organise au delà de la vie de leur communauté, de plus en plus vaste. Il rassemble des foules, imagine le pouvoir de son ami, entend libérer les exclus par la sédition : créer une secte, ce qui va à l’encontre des voeux de celui qu’il annonce comme prophète, dont il dénature les faits et gestes pour construire la légende du fils de Dieu. Est-il sur une barque couverte de brume ? Non, il marche sur l’eau… Jésus en est conscient, mais laisse faire.

Reprenant le procédé de Dino Buzzati dans « Pauvre petit garçon », une nouvelle du recueil Le K, où il imagine qu’Adolf Hitler est devenu lui-même parce qu’il était brimé par ses petits camarades, Metin Arditi postule que le chemin spirituel de Jésus naît dans la colère d’être rejeté pour ce qu’il est, un bâtard. Mais il figure un Jésus résolument humain, charnel dans les bras de Marie de Magdala, et attaché à la Loi juive, qu’il voulait juste amender à regarder les exclus comme son prochain, qu’il convient d’aimer :

Ce qu’il cherchait, c’était l’Esprit. La charité. Le pardon. Toutes choses dont la Loi juive regorgeait, mais qui étaient de la vie des communautés, accrochées à une lecture apeurée de la Loi.

Dans une langue claire et douce, poétique, porté par une érudition qui jamais ne vient alourdir le récit, Le Bâtard de Nazareth est un très beau roman qui donne à Jésus la majesté simple d’une figure humaine.

Loïc Di Stefano

Metin Arditi, Le Bâtard de Nazareth, Points, mars 2024, 216 pages, 7,90 euros

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