Les Adversaires de Michael Crummey, duel fratricide
Mockbeggar — littéralement « faux mendiant » —, port de commerce niché dans les confins de Terres-Neuves, est en ce début de XIXe siècle aux mains d’un héritier aussi fainéant qu’alcoolique. Avec ses deux affidés il sème la terreur partout où il le peut, se moquant des lois dont il a, ironiquement, la charge. Parce que son père était le meilleur des hommes peut-être s’entête-t-il à en être le pire ? Mais le destin lui a donné une sœur, aussi dure de caractère qu’il est violent et borné, mais XXX Ainsi s’affrontent les deux factions d’une même famille dans Les Adversaires de Michael Crummey.
Deux familles, même sang
Entre la femme calculatrice et a priori plus proche du peuple et le porc obscène Abe, il y a plus qu’un lien de sang. Il y a toute la haine concentrée de l’un envers l’autre dans un seul but : le pouvoir. C’est en effet entre eux deux que les richesses (les entreprises maritimes, principalement) sont partagées, et chacun pense que l’autre est d’abord nuisible. Le vieil alcoolique, la vieille sorcière. La force brutale et bornée, la rouerie. Deux version d’une même ambition, d’une même manière de se mettre au-dessus du commun. Et qu’il s’agisse de régner sur de petit morceaux de terre désolé et rempli d’ivrognes n’est pas le souci, puisqu’il s’agit, avant tout, de régner.
Et ce sont les habitants qui trinquent. Soient qu’ils sont les victimes directes des violences, soient qu’ils servent de pions avancés pour déstabiliser, voire détruire, l’entreprise de l’autre. Et qu’il s’agisse d’hommes, de femmes ou d’enfants, personne n’est épargné. Qu’importe les dommages, qu’importe les morts mêmes, ils ne cessent d’en découdre, redoublant d’ignominie et d’imagination.
Le plaisir de l’horrible
Les Adversaires est un récit dur et drôle à la fois. Et on en vient à prendre plaisir à voir ces deux forces s’affronter. Parmi tous les fléaux qui ravagent l’île, épidémie ou famine, les meurtres ou les accidents, ce qui peut arriver de pire est ce cette lutte fratricide.
Le style de Michael Crummey mêle l’épure et une inventivité, notamment dans les jurons à une transcription des parlers gras et crus des marins. Les Adversaires est un roman savoureux, cruel, un catalogue minutieux des bassesses humaines irrésistible.
Loïc Di Stefano
Michael Crummey, Les Adversaires, traduit de l’anglais (Canada) par Aurélie Laroche, Phébus, août 2024, 362 pages, 23,50 euros