Olivier Norek, Les Guerriers de l’hiver
Quittant le domaine du polar, dont il s’était déjà un peu éloigné dans ses derniers romans, Olivier Norek plonge avec Les Guerriers de l’hiver dans un épisode méconnu de la Seconde Guerre Mondiale. Le 30 novembre 1939, l’immense Russie envahit la minuscule Finlande pour la courte et très étonnante Guerre d’Hiver.
Goliath contre David
Alors que le pays n’existait juridiquement que depuis 22 ans, la Deuxième guerre mondiale est déclarée. Voisin de la Suède neutre (mais qui vend son fer à l’Allemagne nazie), la Finlande est pour ainsi dire coincée entre Hitler et Staline. Les velléités russes sur ce petit territoire sont historiques, et forte : ce sera le tampon pour faire la guerre hors son propre sol. Une affaire de quelques jours, les Finlandais plieront d’eux-mêmes voyant l’innombrable armée Rouge se masser à ses portes. Mais, seule durant tout le conflit, abandonnée par les Alliés qui ne firent que des promesses — qu’attendre d’autre de Daladier et de Chamberlain… —, la Finlande résiste. Mieux, elle est héroïque. Cette guerre, qui humiliera Staline et montrera combien peu d’égard la Grande Russie a pour le sang de ses enfants, sera effacée de l’histoire officielle russe, mais restera dans les mémoires comme la Guerre d’Hiver.
La résistance incroyable des Finlandais puise sa motivation dans l’amour de la Patrie, l’amour des siens (intelligemment ils combattent les uns proche des autres, pour avoir un ami, un frère, sur qui veiller). Ainsi chaque paysan devient un héros, sacrifiant tout ce qu’il a pour les siens, à l’arrière, pour son pays, et pour ses camarades de front. Et parmi ces héros, se trouve une légende.
La Mort Blanche
Paysan calme et effacé, tout petit, il est déjà connu comme tireur d’élite redouté dans les concours où il écœure ses adversaires par la précision et la vélocité de ses cartouches. Et par la vétusté de son fusil. Mais un homme fait corps avec son arme, dont il connait les qualités et les défauts. Engagé dans le conflit, Simo Häyhä va vite être désigné pour des missions de sniper : se fondre dans le décor tout habillé de blanc, tuer des cibles précises, stratégique, disparaître. Tel tireur russe embusqué, tel mitrailleur protégé derrière le blindage de son arme, tel officier sonnant une charge. A force de précision et, pour ainsi dire, d’invisibilité, sa légende se forge dans les rangs russes. La mort frappe, on ne sait d’où, avec une précision démoniaque, et son nom seul sert à effrayer les assaillants. Il sera La Mort blanche. Mais ce n’est qu’un homme, et c’est ce qui le rend encore plus beau.
Car ce qu’il l’intéresse avant tout, ce sont ses amis de Rautjärvi, la petite bourgade dont ils sont tous originaires et qu’ils rêvent de revoir.
Le roman d’une guerre
Les soldats parlaient d’enfer sans galvauder le mot, puisque même l’aumônier se demandait ce que le diable en sa demeure pouvait proposer de pire que la Guerre d’Hiver.
Olivier Norek s’est hissé, avec Les Guerriers de l’hiver, dans le compagnonnage direct des grands romans de guerre qui mettent l’homme au cœur du dispositif narratif. Pas le roman des batailles, des mouvements de troupes, des décisions tactiques, même s’il y a tout cela. La guerre vue au niveau des hommes, faisant de ce roman l’héritier des Erich Maria Remarque, Roland Dorgelès, Gabriel Chevalier, Maurice Genevois, Henri Barbusse, ces grands romanciers de l’humanité prise dans l’enfer.
Les Guerriers de l’hiver commence comme un hommage au « Dormeur du val » d’Arthur Rimbaud, puis s’étoffe et d’un seul jeune homme mort au combat il en disperse des dizaines de milliers, dans la neige la plus pure, par des températures inhumaines. C’est un grand roman dans lequel Olivier Norek oppose un petit peuple qui se bat pour sa survie à son envahisseur qui lui est tellement supérieur en nombre et en armement, mais qui ne parvient pas à briser sa résistance. Résister, pour son pays, pour ses frères d’armes, parce que la grande leçon de ce conflit c’est que ceux qui respectent la vie gagnent toujours, au moins en humanité si ce n’est sur le champ de bataille. Les finlandais se battaient entre amis et voisins, quand les Russes envoient des régiments entiers à l’abattoir. L’homme contre la masse, encore quelque chose de supérieur dont Simo Häyhä est le symbole et qu’Olivier Norek rend magistralement.
Loïc Di Stefano
Olivier Norek, Les Guerriers de l’hiver, Michel Lafon, août 2024, 448 pages, 21,95 euros
On pourra compléter sa lecture par une Histoire de la Finlande dans la Seconde Guerre Mondiale