Changer la vie, la dette sociale-démocrate des européens

Maître de conférence en histoire contemporaine à l’IEP de Lyon, Gilles Vergnon est spécialiste des gauches en Europe. C’est donc tout naturel qu’il se penche sur l’histoire du socialisme en Europe avec cet essai intitulé Changer la vie tout à fait, je le dis d’avance, stimulant.

Un mouvement révolutionnaire… puis réformiste ?

Tout fait peur au départ dans ces partis socialistes qui apparaissent en Europe dans les années 1860-1870, sous influence d’une doctrine « marxiste » (alors que le mot « socialisme » est antérieur à Marx) développé et popularisé par Kautsky et Engels. Car la classe ouvrière (on pourrait parler de classes ouvrières) fait peur en ces temps d’industrialisation de masse grâce à ses syndicats liés (sauf en France et encore) à ces partis socialistes dont le SPD allemand fait figure de grand frère : on peut parler d’une sociale démocratie qui, dans une grande partie de l’Europe, lutte pour l’instauration d’une démocratie et pour le suffrage universel… Sauf en France, encore une exception, où ce combat fut celui des républicains. Ces socialistes se présentent aux élections, conquièrent des mairies et s’inscrivent dans le jeu politique. On craint où on espère que, par la grève générale et la solidarité ouvrière, ils puissent empêcher le déclenchement de la grande guerre : peine perdue. Les socialistes allemands votent les crédits de guerre, surtout par peur de la Russie tsariste, et Jaurès est assassiné.

Une entre-deux-guerres en demi-teinte

Au sortir de la grande guerre, les socialistes se retrouvent avec des concurrents, les communistes sous influence du Komintern. Plus durs et plus purs. Cela n’empêche pas les succès électoraux… et les échecs. Si les sociaux-démocrates parviennent au pouvoir en Scandinavie (c’est le début de la mise en place de l’état-providence), plus brièvement en Angleterre, l’Allemagne sombre dans le nazisme et l’Espagne dans la guerre civile. En France, le front populaire, malgré les congés payés et d’autres lois fécondes pour l’avenir, est un échec. Le pacifisme a été cause de bien des errements mais beaucoup de résistants ont été socialistes (et Attlee a soutenu loyalement Churchill) et l’ont payé de leur vie comme Brossolette où ont été persécuté comme Kurt Schumacher en Allemagne.

La social-démocratie, gloires et ombres…

La fin de la guerre marque des victoires pour les socialistes, seul comme en Grande-Bretagne, ou en coalition comme en France. C’est le temps de la mise en place de l’état-providence, de la sécurité sociale et souvent en accord avec la démocratie chrétienne. Pris au piège de la guerre froide, les socialistes prennent parti pour l’alliance atlantique… mais seront favorables en RFA à l’ostpolitik de Willy Brandt. Les politiques économiques menées en Suède ou en Angleterre iront loin dans le partage de la valeur ajoutée et la redistribution… avant d’être remises en cause par l’essor du néolibéralisme dès la fin des années soixante-dix. Nos socialistes français, accusés d’accompagner les méfaits du capitalisme ne sont donc pas seuls… Il faut souligner cependant l’aide apportée par les socialistes allemands et français à leurs confrères ibériques lors des transitions démocratiques et de l’adhésion à l’Europe qui a réellement contribué à l’essor de ces pays.

Que peut le socialisme aujourd’hui ? Cette question résonne étrangement en France où on reproche beaucoup à François Hollande d’avoir trahi son programme (à raison ?). Mais les socialistes d’aujourd’hui ont perdu en partie leur lien avec la classe ouvrière. Ils représentent plus les classes moyennes, les fonctionnaires, la jeunesse, les minorités peut-être (il faut relire la fameuse note polémique de Terra Nova). Ils doivent faire face à la concurrence des populismes de droite et parfois de gauche (le cas français est particulier).

En tout cas cette synthèse est remarquable. Car il faut lire pour réfléchir sur un mouvement socialiste qui fit beaucoup pour nos sociétés européennes.

Sylvain Bonnet

Gilles Vergnon, Changer la vie, le temps du socialisme en Europe de 1875 à nos jours, Gallimard folio histoire, juin 2024, 592 pages, 11,70 euros

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