S’adapter pour vaincre, le défi des armées contemporaines
De l’armée à l’histoire
Officier des troupes de marine devenu historien, Michel Goya est l’auteur d’ouvrages remarqués. Citons La Chair et l’acier : l’armée française et l’invention de la guerre moderne (Tallandier, 2004), Sous le feu : la mort comme hypothèse de travail (Tallandier, 2014) et Les Vainqueurs (Tallandier, 2018). Ce dernier ouvrage synthétisait des recherches antérieures et démontrait comment l’armée française de 1914-1918, malgré bien des idées reçues, avait gagné la guerre pas seulement à cause de la ténacité des poilus mais aussi grâce à sa capacité à s’adapter et à innover. On y voyait comment Pétain en 1918 avait ouvert une dimension nouvelle grâce à ses offensives de l’été : on entrait sans le savoir de plain-pied dans l’art opératif forgé conceptuellement en URSS dans les années 20, stade intermédiaire entre la tactique et la stratégie. Ce sera la base de la supériorité de l’armée rouge sur la Wehrmacht lors de la seconde guerre mondiale. Il revient S’adapter pour vaincre, un ouvrage plus ample sur cette idée d’adaptation, qualité selon lui des grandes armées.
Sept cas d’adaptations
Michel Goya a choisi d’étudier sept exemples militaires à l’appui de sa théorie, démontrant la capacité d’adaptation d’une armée (voire d’une force armée). Il étudie l’armée prussienne, l’armée française de la grande guerre, la Navy britannique, le Bomber command britannique, le cas spécifique de l’arme atomique, l’armée française pendant la guerre d’Algérie et enfin l’US Army de 1945 à nos jours. On peut dire déjà qu’il est amplement exhaustif. A chaque fois, il nous offre des analyses détaillées des choix de chaque armée.
On salue bien bas l’armée prussienne et son grand état-major qui, en créant un corps d’officiers solide et surtout de sous-officiers formés dans l’excellence, jette les bases d’une supériorité militaire germanique qui profite aussi des erreurs de ses adversaires : en 1870, le soldat français se bat très bien, ce sont les généraux qui pêchent…
On retrouve avec la Navy un cas similaire : les amiraux anglais soignent la marine mais doivent en fait lutter contre plusieurs rivaux (Allemagne, Etats-Unis, France, Japon) tout en devant acter sur le long terme le déclin de la puissance industrielle britannique. Le Bomber command échoue lui pendant longtemps à être efficace dans ses bombardements mais peut-on gagner une guerre uniquement grâce à son aspect aérien ? Les américains ont hérité ce travers des anglais…
Voici en tout cas une synthèse extrêmement stimulante, très bien écrite, riche avec cependant un manque : quid de l’armée rouge et de ses percées intellectuelles ? Malgré cela, un ouvrage magistral !
Sylvain Bonnet
Michel Goya, S’adapter pour vaincre, Perrin, août 2019, 432 pages, 24 eur