Midi-Minuit Fantastique, volume 3

Rétroprojections

 

Le troisième volume de la réédition de tous les numéros de Midi-Minuit Fantastique vient de sortir. Genre fantastique oblige, il est évidemment peuplé de vampires, de fantômes et de spectres et la mort rôde à chaque page. Mais l’entreprise menée par Nicolas Stanzick est d’un bout à l’autre celle d’une résurrection et d’une renaissance.

 

Ironie du destin, ou peut-être, dans la terminologie administrative, effet pervers. L’une des raisons qui avaient conduit Nicolas Stanzick à souhaiter une réédition en quatre volumes de la série des numéros de la revue de cinéma Midi-Minuit Fantastique, c’était sa volonté de démocratiser cette affaire. En effet, les numéros n’étaient pas à proprement parler introuvables, mais le prix auxquels les vendaient les libraires ou les bouquinistes spécialisés en faisaient des pièces de collection que seuls quelques privilégiés pouvaient s’offrir. Las ! le premier volume de la réédition de MMF est épuisé et va désormais chercher dans les 300€ sur eBay, et le deuxième ne devrait pas tarder à suivre le même sort, puisque le troisième, qui arrive aujourd’hui, adorné sur la couverture d’une photo de Raquel Welch prise pendant le tournage d’Un million d’années avant Jésus-Christ, ne manquera pas de stimuler les intérêts des acheteurs potentiels, ne serait-ce que parce qu’il vient prouver aux sceptiques que ce projet un peu fou au départ sera mené à son terme. Le quatrième (et dernier) mousquetaire de la série paraîtra dans un an ou un an et demi.

 

Mark of the Vampire (1935)

 

Parmi les lecteurs, deux catégories. Opposées ? Non, complémentaires. Les jeunes, qui n’ont jamais connu directement MMF, mais à qui, grâce aux rééditions constantes en DVD et en B-r, les films dont parlait MMF ne sont pas étrangers. Et les vieux, qui, même lorsqu’ils ont déjà la collection complète des MMF sur leurs étagères, achètent la nouvelle version, dans la mesure où, fort judicieusement, Nicolas Stanzick parvient, chaque fois et cette fois encore, à composer des vers nouveaux sur des pensers anciens. Soit dit en passant, travail de Romain, ce qui explique pourquoi la publication de la version en quatre volumes de MMF aura nécessité, au total, presque une décennie, soit à peu de chose près l’équivalent de la période de parution des numéros originaux.

Quid novi ? Plusieurs choses. Mais le neuf est d’abord à trouver dans l’ancien lui-même, la technologie de notre époque permettant de produire des copies plus authentiques que les originaux. La majorité des photographies sont évidemment celles qui avaient été publiées dans les MMF des années soixante, mais elles sont aujourd’hui reproduites avec une qualité technique, une définition qui les font pour ainsi dire renaître. Même lorsqu’on a déjà vu des dizaines de portraits de Christopher Lee ou de Barbara Steele, qui sont pour ainsi dire les leitmotive iconographiques de ce volume trois, on s’arrête sur ceux qu’on retrouve ici, puisque, à tort ou à raison, on a l’impression de ne les avoir jamais vus.

 

Christopher Lee (Paris, 1966) rendant hommage aux lecteurs de MMF (Photo © Pierre Zucca)

 

Quid novi ? Dans l’iconographie toujours, des documents en couleur, tel ce dossier-presse d’époque qui vient compléter, enrichir tout naturellement un article sur Mario Bava. Et, pour ce qui est des textes proprement dit, quelques compléments inédits mais pour lesquels les « raccords » sont presque invisibles : un entretien récent avec Roger Corman (essentiellement sur sa période Poe) ; une préface d’Édith Scob qui n’apprendra peut-être rien à ceux qui la suivent depuis Les Yeux sans visage, mais qui présente l’avantage de concentrer en quelques pages lumineuses toute l’histoire de ses rapports avec Franju, puisqu’elle joua aussi dans Judex ou dans Thérèse Desqueyroux.

Au rayon des nouveautés, on trouvera aussi le DVD-bonus, avec quatre heures de boni (au pluriel) qu’on ne saurait énumérer ici dans le détail. Bornons-nous à signaler la reconstitution, à partir de chutes retrouvées récemment par miracle, d’un Dracula en ombres chinoises réalisé Jean Boullet (avec le concours de Philippe Druillet et de Boris Bergman). « Double spectral d’un film perdu corps et bien ‒ et qui n’a peut-être jamais existé », précise Nicolas Stanzick, puisqu’il n’avait probablement jamais été terminé. Où, là encore, il est prouvé qu’on peut faire aujourd’hui des copies plus vraies que le vrai, et ressusciter même ce qui n’était jamais vraiment né ! Druillet a pleuré en voyant ce « nouveau » montage et a demandé qu’on le lui passe plusieurs fois de suite. Autre curiosité : l’enregistrement d’une dramatique radiophonique avec Édith Scob.

 

Le Masque du démon

Cependant, les nouveautés les plus marquantes nous paraissent résider dans l’esprit même de certains textes d’époque. Soyons franc, certains articles sont écrits dans un style alambiqué définitivement estampillé sixties, mais on aurait tort de penser qu’on trouve chez les rédacteurs de MMF cet aveuglement bécassin qui caractérise encore aujourd’hui les tenants de la théorie des auteurs. Malgré Terence Fisher, malgré Christopher Lee, malgré son militantisme, Michel Caen dit, dès sa sortie, tout le mal qu’il convient de penser de Dracula, prince des ténèbres. Tout simplement parce qu’il est déçu ; après Le Cauchemar, il s’attendait à mieux.

 

 

Pour tout dire, ce volume trois mérite d’être acheté ne serait-ce que pour l’interview de Jacques Tourneur qui constitue sa véritable ouverture. Celui-ci explique pourquoi l’horreur au cinéma doit avant tout passer par l’ellipse. Pourquoi il faut, pour que la peur s’installe vraiment, l’inscrire dans un décor quotidien et contemporain ‒ des monstres, dans une histoire située au Moyen Âge ou au XIXe siècle, ont par la force des choses un caractère « exotique » qui empêche l’identification du spectateur.

Nicolas Stanzick n’a pas tort quand il explique qu’il ne convient pas de voir dans cette réédition une entreprise nostalgique. Midi-Minuit Fantastique était d’une certaine manière, c’est vrai, un cri de résistance. Et la vraie résistance, qui n’est autre que l’histoire de l’art, jamais ne s’achève.

 

FAL

 

Midi-Minuit Fantastique, Volume 3. Une intégrale augmentée sous la direction de Michel Caen et Nicolas Stanzick, Rouge profond, août 2018, 65 euros

 

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