Walk Up de Hong-Sang Soo, l’humain tout simplement

Cinéaste renommé, Byungsoo accompagne sa fille afin qu’elle rencontre une de ses amies, propriétaire d’un immeuble dans Gangnam. Dans ce lieu pourtant anodin, il va explorer ses amours passés, présents et futurs au gré des déambulations de son esprit.

L’adage, certes très réducteur, voudrait que les grands réalisateurs accouchent inlassablement du même film. Cette assertion, à double tranchant (elle relèverait le manque de renouvellement créatif chez l’artiste), résume très mal leur travail. La redondance ne naît ni du sujet, ni des thématiques, mais bel et bien du regard apposé, immuable. La répétition se confond avec l’illusion alors que la perception du spectateur se noie dans l’inconscient du metteur en scène. Or, cette impression parfois désagréable, de déjà vu s’intensifie au fur et à mesure que la filmographie d’Hong-Sang Soo progresse à pas feutrés; le sud-coréen, en véritable stakhanoviste multiplie les longs-métrages, à l’image d’un Takashi Miike au Japon ou d’un Quentin Dupieux en France.

Rejeté par une majeure partie du public, mais adoré par les critique et les organisateurs de festival, le réalisateur ne se décourage pas, en dépit des obstacles et déçoit rarement ses admirateurs. Chez lui, l’économie de moyens n’empêche jamais les figures de style osées. Voilà pourquoi ceux qui lui reprochent de proposer éternellement le même refrain devraient davantage s’atteler aux infimes détails. Bien entendu Walk Up ne manquera pas d’ajouter des éléments à charge dans leur procès d’intention, tant le long-métrage incarne à la fois la pire et la meilleure porte d’entrée dans l’univers du cinéaste. Stérile, aride et pourtant d’une richesse incommensurable, Walk Up ferme autant la boucle qu’il n’ouvre des possibilités quasi infinies.

Ridicule ou authentique ?

Le grief émis régulièrement à l’encontre d’Hong-Sang Soo concerne la teneur de ses dialogues, taxés de futiles, voire ridicules, vide de sens. Toutefois, l’amoureux d’Éric Rohmer cherche avant tout à capter la véracité du quotidien, au risque d’écarter les palabres métaphysiques des auteurs à la mode. Par conséquent, il se moque de ses propres personnages, souvent artistes reconnus pour mieux les faire douter, afficher leur vulnérabilité, leur appartenance au monde des mortels, quitte à s’autocritiquer.

Cette méthode si abrupte déconcerte et émeut au fil des conversations tournées en plan séquence, durant lesquelles chaque détail, y compris le plus insignifiant importe. Ainsi, la supercherie suggérée dans un discours des plus banals rappelle le vécu du quotidien du tout à chacun. Lorsque Sunhee évoque son admiration pour l’œuvre de Byungsoo sans pouvoir citer un seul film, on devine le mensonge derrière les paroles enjôleuses. Pourtant, Hong-Sang Soo ne juge jamais même s’il met les uns et les autres devant leurs responsabilités, sous un état d’ivresse permanent.

Il invite ses protagonistes aux festivités dionysiaques pour souligner leurs failles, les réconcilier un verre à la main ou tout simplement reproduire le son de la vérité. Ses piques à l’encontre du système s’avéreraient presque plus sincères que n’importe quelle métaphore ampoulée ; il est vrai que l’on refait le monde de manière moins artificielle autour d’une table même si le constat se révèle toujours douloureux. Le réalisateur le sait mieux que quiconque, puisqu’il doit travailler en tant que professeur ou en qualité de vendeur en librairie pour financer ses projets. Mais il recouvre de fait sa liberté, sans autres attaches que son art et peut aspirer, comme ses personnages à l’introspection.

Rêve ou aspiration

Pendant une scène assez stupéfiante de simplicité, Byungsoo, alité après avoir copieusement bu, imagine sa future conversation avec sa compagne, témoignant son affection indéfectible à son égard. Les mots retentissent et tout paraît ainsi plus vrai que nature. Coutumier des immersions oniriques, Hong-Sang Soo se lâche une fois encore, sa maîtrise des frontières du réel n’est plus à prouver depuis Un jour avec, un jour sans et Seule sur la plage la nuit.

Puisque pénétrer dans le virtuel permet de retrouver la paix et de prendre pleinement conscience de son for intérieur, le cinéaste n’hésite plus alors à s’adonner à ce singulier exercice, réfutant tout nihilisme malgré le doute, le regret. Hong-Sang Soo ne tourne point en rond, car il connaît la sortie et prend un malin plaisir à désarçonner le spectateur par ses pirouettes invisibles. Le pseudo retournement censé conclure le long-métrage n’occulte pas son aisance à brouiller les pistes à travers les fluctuations oratoires et les conjugaisons alcoolisées qui articulent sa narration.

Pour lui, tout devient propice à un repli sur soi, primitif, indispensable, salutaire. Cette unique échappatoire envisageable, honorable épouse la trajectoire sinueuse cette route inconfortable empruntée par les parias, celle qu’il a choisi. Et le cri de détresse policé de son personnage renvoie à sa douloureuse expérience, jonchée par les cahots disséminés par ses détracteurs. Néanmoins, lui seul réussit à s’extirper du cercle de la souffrance puisqu’il détient les clés de son affranchissement. Et Walk-Up s’érige en étape supplémentaire à son ascension.

Derniers paysages idéaux, champs et contrechamps s’imbriquent dans un vaste territoire vierge, celui d’un esprit malin, ingénieux, parfois retors. Et Walk Up abrite ces vestiges civilisés, n’élude jamais les tempêtes qui les traversent pour mieux profiter des éclaircies d’une ultime aurore.

François Verstraete

Film sud-coréen d’Hong-Sang Soo avec Hae-Hyo Kwon, Hye-Young Lee, Song-Seon Mi. Durée 1h37. Sortie le 20 février 2024.

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