L’herbarium illustré d’Hildegarde de Bingen, la première naturopathe

Ce fut dans l’abbaye de Saint Gildas de Rhuys que je découvris, à l’occasion d’une conférence, l’existence et les hauts faits d’Hildegarde de Bingen. Elle ne fut pas seulement abbesse, mais également musicienne (on lui doit soixante-dix cantiques), linguiste (elle inventa la lingua ignota, une manière de sténographie), théologienne, écrivaine, et visionnaire depuis sa petite enfance.

Cette abbaye n’était pas inconnue pour moi : Abélard en fut l’abbé en 1125, Hildegarde avait alors vingt-sept ans. Il s’y réfugia après avoir été émasculé par Fulbert, l’oncle d’Héloïse, en 1117. Ses turpitudes passées ne l’empêchèrent en rien de prôner la vertu intégrale. Il alors est scandalisé par les mœurs de ses moines : « Ils étaient cruels et sans frein dans leur licence, écrit-il. Chacun prenait sur son propre patrimoine pour se soutenir lui et sa concubine, et ses fils et ses filles » … Les dits moines n’apprécièrent pas. Menacé de mort, il dut fuir…

Alors que sur les bords du Rhin Hildegarde, voilée depuis ses douze ans, herborisait en toute innocence…

Mystique et encyclopédiste

Paul Ferris rapporte l’anecdote suivante : à l’âge de trois ans, elle déclare à sa nourrice : « Vois donc le joli veau dans cette vache. Il est blanc avec des taches sur le front, sur les pieds et sur le dos ». Comme la vérité sort toujours de la bouche des enfants, le vêlage de la maman vache confirma la prédiction. Plus tard, à l’âge adulte, en 1152, elle consignera ses visions dans son livre titré Scivias, ou Livre des œuvres divines. « C’est tout éveillée que, de jour comme de nuit, je vois ces choses, écrit-elle…Une lumière qui n’a pas d’origine et tellement plus lumineuse que celle qui entoure le soleil ».

Mystique, elle fut aussi encyclopédiste avant l’heure. Dans son livre Physica, elle décrit près de trois cents plantes, une soixantaine d’oiseaux et autres animaux volants (chauve-souris, insectes…), une quarantaine de mammifères. Journaliste spécialisé dans la santé naturelle et le jardinage en agriculture biologique, Paul Ferris en a extrait la description d’une soixantaine de plantes, et les recommandations d’Hildegarde de Bingen en matière de santé et d’alimentation. On trouvera donc dans ce beau livre illustré de soixante aquarelles des recettes de cuisine originales comme celle de la Bouillie à la noix de muscade et au glaïeul (recommandée en cas d’hémiplégie), celle des Rhizomes d’iris fourrés au miel (pour lutter contre l’irritabilité et les insomnies), et des recettes pour composer cataplasmes, collyres, infusions, élixirs, onguents et cosmétiques divers…

Les lecteurs doués d’une main verte y trouveront également tous les conseils nécessaires pour cultiver, multiplier, et récolter les plantes d’un jardin médicinal, à la mode du Moyen-âge.

Une sainte populaire

Dans une première partie, Paul Ferris trace à grands traits la « vie extraordinaire » d’Hildegarde. Née en 1098, elle meurt le 17 septembre 1179 à l’âge de quatre-vingt-un ans. L’église tint alors à préciser qu’elle était toujours vierge… Elle resta longtemps simplement bienheureuse, sans être canonisée. De son temps, l’ordre canonique des Prémontrés (parmi d’autres) bannissait les femmes de son ordre, affirmant avoir reconnu « que la méchanceté des femmes est plus grande que toutes les autres méchancetés du monde » … Hildegarde en fut un parfait exemple, puisqu’elle avait lutté contre ce type de mentalité misogyne non seulement au sein de l’Église, mais aussi dans la société médiévale en général. Lui en a-t-on tenu rigueur? Ce n’est qu’en 2012 que le pape Benoit XVI la reconnut sainte et docteure de l’Église. Alors que la ferveur populaire l’avait reconnue sainte depuis longtemps.

La nouvelle vogue de spiritualité apparue dans les années de 1970 avait déjà remis Hildegarde Bingen au goût du jour. Les adeptes du New Age ont pensé retrouver chez elle les références aux sources traditionnelles et naturelles où ils puisent leurs croyances. La presse actuelle parle d’elle comme d’une « influenceuse de bien-être qu’on n’avait pas vu venir » ! Le patronyme de notre pauvre sainte est même devenu la marque d’une entreprise vendant des encensoirs, des plantes à rituels et divers produits bio… Se retourne-t-elle dans sa tombe ? L’Église, quant à elle, croit sans doute en retirer quelques bénéfices spirituels.

Mathias Lair

Paul Ferris, L’herbarium illustré d’Hildegarde de Bingen, éditions du Rocher, mars 2024, 232 pages, 22 euros

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