Le grand sommeil : Raymond Chandler vit toujours

Le grand maître

Raymond Chandler (1888-1959) a fondé le roman noir dit classique à la suite de Dashiell Hammett. Son personnage iconique, Philip Marlowe, est le héros de ses romans, du Grand sommeil à Playback (mieux connu des vieux lecteurs de polar sous le titre Charade pour écroulés), et aura à jamais pour tous les cinéphiles les traits d’Humphrey Bogart dans le film Le grand sommeil d’Howard Hawks. Benoit Tadié propose ici une nouvelle traduction de la première aventure de Marlowe.

Un privé cynique et consciencieux

« Il était environ onze heures du matin, à la mi-octobre, le soleil ne brillait pas et une pluie forte et pénétrante s’annonçait dans la clarté des collines au pied des montagnes. Je portais mon costume bleu poudre, avec chemise, cravate et pochette bleu foncé, brogues noires, chaussettes de laine noire à motifs bleu foncés. J’étais net, propre, rasé, je n’avais pas bu et je n’avais pas honte qu’on le sache. J’étais tout ce que doit être un détective privé élégant. Je rendais visite à quatre millions de dollars. »

Los Angeles, à la fin des années trente. Philip Marlowe est engagé par le général Sternwood, un ancien homme d’affaires richissime, pour enquêter sur une histoire de chantage dont sa fille Carmen est victime. Drôle de numéro que cette belle fille qui suce son pouce avec une façon bien à elle de fixer un homme. Marlowe rencontre Vivian, l’aînée, qui en le voyant croit qu’il va enquêter sur la disparition de son mari, Rusty Regan. Elle lui paraît plus intéressante mais Marlowe garde ses distances. Ses investigations vont le mener à une librairie tenue par un certain Geiger, qui fait dans les livres de photos pornographiques. Marlowe fait ses filatures, guette devant chez Geiger… Au premier éclair, Marlowe se précipite, découvre Geiger mort et Carmen, nue, droguée, suçant son pouce. Il la ramène chez elle, il n’est pas au bout de ses surprises.

Le roman d’un virtuose

Le grand sommeil est caustique, drôle, alambiqué, souvent désespéré aussi quant à la description d’une société américaine gangrénée par la corruption. Marlowe est un personnage iconique, souvent cynique, prêt à tout pour découvrir la vérité malgré les embûches. Les dialogues de Chandler, brillants et savoureux sont pour beaucoup dans le plaisir de relecture. Un lecteur contemporain et progressiste pourrait être choqué par le traitement réservé par Chandler aux personnages homosexuels ou à l’homosexualité : le reflet d’une époque. Cela n’enlève rien aux qualités d’un romancier qui a influence James Ellroy, Robert B. Parker, James Crumley et même Dennis Lehane. Son legs très fécond méritait cette nouvelle traduction qui actualise Chandler sans jamais trahir son esprit.

Sylvain Bonnet

Raymond Chandler, Le grand sommeil, préface et traduction de l’anglais de Benoît Tadié, Gallimard « Série noire » classique, novembre 2023, 304 pages, 14 euros

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