« My Pure Land », western féministe

Wonder(Woman)land

My Pure Land est un « western » pakistanais qui nous entraîne where no woman has gone before. Mais la route qui reste à faire va visiblement être longue.

Deux cartons. L’un pour nous dire que ce que nous allons voir est based upon a true story. L’autre nous informe qu’on estime à un million le nombre de litiges fonciers au Pakistan. Après quoi l’action peut commencer. Ce devrait être, étant donné le second carton, une action en justice, comme celles qu’on trouve dans tant de « films de procès » américains, mais l’action ici est d’un autre genre ‒ celui du western.

My Pure Land s’ouvre in medias res. Dès qu’elles voient approcher de la ferme dans laquelle elles se trouvent et qui va être le centre de toute l’histoire la voiture de leur oncle, deux jeunes filles se saisissent d’armes qu’on croyait jusque-là réservées à Rambo. Il faut dire qu’en face l’oncle et ses sbires ne sont pas en reste. Au menu, une heure et demie de fusillades, ponctuées par une série de flashbacks, jetés dans un ordre qui ne respecte pas toujours rigoureusement la chronologie ‒ certains d’entre eux sont d’ailleurs oniriques ‒, mais qui nous expliquent comment on en est arrivé là, et surtout pourquoi il y a si peu d’éléments mâles pour défendre cette demeure : les deux jeunes filles ont en tout et pour tout à leurs côtés leur mère et un jeune homme dont on apprendra qu’il est le « promis » de l’aînée, mais qui est surtout là pour venger la mémoire de leur frère, dont il était l’ami.

 

 

Car leur frère est mort, assassiné par des policiers corrompus jusqu’à l’os et vendus à cet oncle qui revendique la propriété de la maison. Le père, lui, n’a pas été assassiné : les mêmes policiers l’ont simplement laissé mourir, sa santé n’ayant pas résisté à ses conditions de détention. Et ce frère et ce père étaient bien sûr innocents, mais, pour échapper à la prison, il eût fallu, « au choix », se mettre sous la coupe d’un policier plus compréhensif, mais tout aussi corrompu que les autres, acheter un juge en vendant une partie de la propriété ou recourir à la protection d’un chef mafieux… La vertu du père n’a pas voulu s’incliner devant le vice. Il en est mort, mais il avait pris soin de former au maniement des armes ses deux filles (il semble d’ailleurs qu’au Pakistan chaque tiroir, chaque coffre, chaque armoire renferme un arsenal). C’est donc pourquoi, aujourd’hui, elles résistent. 

Et pourquoi, nous dit un carton final, même si certains élements de l’histoire ont pu être fictionalized pour les besoins du film, l’aînée a finalement réussi à garder la maison, dans laquelle elle vit encore aujourd’hui, avec le promis devenu son époux.

 

 

Nonobstant ce happy end, et malgré le fait que My Pure Land ressemble souvent beaucoup plus à un film de Johnnie To qu’à un film de Peckinpah ‒ la plupart des tireurs semblent s’appliquer à manquer leur cible… ‒, le tableau du Pakistan proposé par le réalisateur (et scénariste) Sarmad Masud n’est pas loin d’être désespérant, dans la mesure où la série de catastrophes dont nous sommes témoins n’apparaît pas comme le fruit d’une mauvaise conjonction astrale, mais bien comme le produit d’un système voué à la corruption, puisqu’il admet qu’une chose peut être à la fois elle-même et son contraire. Si l’oncle est indubitablement le bad guy de l’aventure, on ne peut mettre entièrement sur le compte de la lâcheté les hésitations du juge chargé de régler l’affaire : certes, les lois de l’héritage voulaient que la maison aille à l’aîné, en l’occurrence au père des deux jeunes filles, mais l’oncle aussi est l’aîné. À ceci près qu’il a été enfanté par une autre épouse du grand-père.

 

 

Sans doute suffirait-il, pour sortir de cet imbroglio, d’établir une hiérarchie parmi les épouses, mais cela constituerait-il vraiment un progrès ? Quand, lors d’une pause au milieu des fusillades, le promis de l’une des deux sœurs demande à celle-ci si elle accepterait qu’il ait une autre épouse, elle répond tout de go : « Oui, à condition que toutes les épouses soient traitées sur le même plan. » Se rend-elle compte que, disant cela, elle tient un raisonnement qui n’est pas loin de recouper celui de son oncle ennemi ?

C’est là, vraiment, que My Pure Land est, répétons-le, désespérant : le vice ‒ en tout cas, le vice intellectuel ‒ est aussi du côté de la vertu, dans la vertu. Le père, dans l’un des flashbacks, explique à ses filles, en riant tant il condamne l’idée, qu’il n’a pas eu honte d’avoir plus de filles que de garçons, qu’il n’a pas répudié leur mère, comme certains lui conseillaient de le faire, pour en trouver une autre plus « productrice de mâles », qu’il ne les a pas brûlées à la naissance, comme certains pères dépités le font. Il n’en reste pas moins que c’est ce même père qui leur déclare solennellement, après l’assassinat de leur frère par la police : « Maintenant, vous êtes mes fils. » Ce féminisme, on en conviendra, est pour le moins à double tranchant. 

 

 

L’éternité, disait l’autre, c’est long, surtout vers la fin. My Pure Land marque indubitablement le début d’une période de transition, et en ce sens, il n’est pas interdit d’être raisonnablement optimiste, mais il reste encore beaucoup de travail à faire : l’avantage des transitions, c’est qu’elles arrivent après l’étape précédente, mais l’ennui, c’est qu’elles se situent avant l’étape suivante…

 

FAL

My Pure Land. Écrit et réalisé par Sarmad Masud ; directeur de la photographie : Haider Zafar ; montage : Olly Stothert ; musique : Tristan Cassel-Delavois.

Avec : Suhaee Abro, Eman Malik, Razia Malik, Syed Tanveer Hussain, Atif Akhtar Bhatt.

UK, 2017. 92 min.

 

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