Crédit illimité de Nicolas Rey
Roman cruel et social, Crédit illimité de Nicolas Rey est une histoire de filiation, d’héritage, et du difficile chemin d’un looser pour enfin devenir un homme. Mais tout commence au bord d’un abîme vers lequel le narrateur semble hésiter à se précipiter. Il va en effet falloir faire le grand saut !
Un ado de 49 ans
Diego est un looser de première, on ne peut pas faire plus anti-héros que cela :
Moi, Diego Lambert, quarante-neuf ans, vieil adolescent attardé avec deux prothèses de hanche en céramique, sponsorisé autant que massacré par son père. Moi, Diego Lambert, alcoolique et ancien cocaïnomane sans chéquier et sans permis de conduire.
Pour son malheur, il est affublé d’un père qui a brillamment réussi et domine un empire commercial international. Face à lui, c’est toujours le sentiment de l’échec, et leur relation a toujours été difficile. Voire pire. Aussi, quand il vient lui demander un peu d’argent, après avoir tondu toute la famille, Diego ne s’attend-il pas à un geste généreux. Mais a priori l’offre qu’il reçoit dans cet immense bureau vide au sommet d’une tour pourrait paraître honnête : pour avoir cette somme, il devra travailler un mois comme DRH afin de procéder à plusieurs licenciements. Facile : aller dans une usine du nord de la France, dire à de parfaits inconnus qu’ils ont tout perdu et rentrer à Paris.
Mais voilà, contre toute attente, Diego, qui ne s’intéresse à rien ni à personne — sauf son vieux pote rocker — est ému par ces ouvriers et leur destin malheureux. Alors, comme un pied-de-nez à son père, bravade de gosse, il contrevient aux ordres et s’occupe à sauver les emplois. Dans cet acte de rébellion contre le père, il va faire un pas pour devenir enfin lui-même un homme.
La quête pour devenir soi
Il y a quelque chose de réjouissant dans l’existence lorsque nous n’avons plus le choix. Tout devient clair. Limpide.
Comme il faut toujours (même symboliquement…) tuer le père, Diego a donc recours à une psy. Mais outre qu’elle va l’assagir, elle va être un but dans sa vie : enfin, il est vraiment amoureux. Enfin, il peut consacrer sa vie à quelqu’un d’autre que lui-même. Est-ce cela devenir adulte ? Car l’homme sans passion qu’il était va se révéler un véritable vivant.
Crédit illimité est un roman qui pourrait au début paraître trop léger mais qui marque par sa justesse sur un conflit œdipien que nos sociétés tendent à prolonger. Avec une légèreté de ton quasi désinvolte, mais très travaillée, et une constante autodérision, Crédit illimité emporte le lecteur loin de ce qu’il pouvait imaginer.
Loïc Di Stefano
Nicolas Rey, Crédit illimité, Au Diable Vauvert, août 2022, 207 pages, 18 euros