La leçon du mal, american psycho japonais

Seiji Hasumi est un excellent professeur d’Anglais. Investi auprès de ses élèves, c’est un peu leur héros. Mais ses intentions sont-elles si altruistes et pures ? Qui se cache derrière l’image parfaite qu’il donne de lui dans un lycée privé plutôt médiocre et parmi des collègues tous plus inquiétants les uns que les autres ? Serait-il le défenseur que tous les élèves attendaient ? Ainsi commence La Leçon du mal de Yûsuke Kishi.

un professeur dévoué

Professeur d’anglais, Seiji Hasumi est aussi responsable d’un club de discussion et s’investit comme surveillant de l’établissement sur son temps de pause. C’est vers lui que tout le monde se tourne, direction compris, pour régler les tensions internes. Et il y en a beaucoup, entre professeurs, entre élèves, entre professeurs et élèves… Il a su se rendre indispensable, par sa compétence, sa gentillesse et sa capacité à comprendre les uns et les autres. Bien plus, il est moralement irréprochable, refusant que ses élèves montent dans sa vieille voiture, pour éviter les éventuels commérages. Entouré de son fan club, il semble rayonner

Pourtant, dans cette ambiance très lourde d’un établissement privé médiocre (1), où la violence et le mépris sont quotidiens, Seiji Hasumi va révéler un autre visage.

L’autre visage

Seiji Hasumi révèle peu à peu son vrai visage. Et quel effroi ! C’est un être perfide par excellence. Il monte les uns contre les autres, il obtient des informations sensibles et s’en sert pour assouvir son seul désir : le contrôle. Et tout ce qui se dresse sur son chemin est perverti, voire éliminé. C’est un animal à sang froid.

Rien ne presse le serpent venimeux, dit le dicton. En effet, la plupart des reptiles dangereux ont pour habitude d’attendre en retrait une fois qu’ils ont inoculé leur venin à leur proie. Ainsi, ils se protègent des soubresauts de celle-ci, qui se débat devant la mort.

Hasumi venait d’injecter des mots empoisonnés dans l’esprit de son collègue, il n’avait plus qu’à attendre qu’ils fassent effet et le détruisent. Sa proie n’avait plus d’échappatoire.

Seiji Hasumi est d’autant plus effrayant qu’il évolue non pas dans un survival horror à la mode, futuriste et gratuit, mais dans un univers bien réel. Et qu’il porte en lui une critique sévère du système scolaire japonais.

un grand succès auprès des adolescents japonais

Présenté par l’éditeur comme un American Psycho japonais, La Leçon du mal est un livre événement dès sa sortie au Japon en 2008, en livraisons puis en volume en 2010. Il ressort de la littérature pour adolescents (ce qui signale l’immense fossé entre les jeunes lecteurs japonais et les français…). Le roman porte un message très critique sur le système scolaire japonais, et c’est sans doute ce qui a fait une bonne part de son succès. Tous les élèves et les professeurs sont petit à petit coincés dans les rets de Seiji Hasumi dont la perversité se révèle sans limite. C’est un personnage froid et au final très inquiétant — mais délicieusement troublant pour le lecteur.

L’immense succès du roman de Yûsuke Kishi s’est traduit au Japon par plusieurs adaptations : en manga entre 2012 et 2015 (9 tomes, en France chez Kana) ; en mini-série de quatre épisodes ; en film en 2012. Le côté slasher est mis en avant dans ces deux versions. Bien sûr, cette dimension existe dans le livre, mais Yûsuke Kishi laisse s’installer le personnage dans sa complexité et avec plus de subtilité. Même si on lit l’histoire à travers son propre regard, les surprises sont omniprésentes, et la cruauté de Seiji Hasumi est toujours source de réjouissance.

Quoi qu’il en soit de ce changement de lectorat dans l’édition française, Yûsuke Kishi signe avec La Leçon du mal un roman très inquiétant sur la profondeur de la froideur humaine, et très prenant à la fois.

Loïc Di Stefano

Yûsuke Kishi, La Leçon du mal, traduit du japonais par Diane Durocher, Belfond, août 2022, 534 pages, 24 eur

(1) Au Japon, les établissement privés reçoivent les élèves qui ont échoué aux concours d’entrée des écoles publiques…

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