Nouvelle histoire de la Révolution, Retour à Soboul ?

Une historienne des révolutions

 

Annie Jourdan est professeur associée en Études Européennes à l’Université d’Amsterdam. Habilitée en histoire moderne et contemporaine et spécialiste de la Révolution et du Premier Empire, elle est devenue proche des thèses autrefois défendues par Jacques Godechot sur la « Révolution atlantique », liant les phénomènes révolutionnaires français, américains et néerlandais. Elle a notamment publié : Napoléon. Héros, Imperator, mécène, (Aubier, 1998), L’Empire de Napoléon, (Champs Flammarion, 2000), Mythes et légendes de Napoléon (Privat, 2004) et La Révolution, une exception française ? (Flammarion, 2004), La Révolution batave entre la France et l’Amérique (Presses Universitaires de Rennes, 2008). Avec cette Nouvelle histoire de la Révolution (Flammarion, 2018), elle propose une relecture de la période à travers le prisme de la guerre civile, suscitant au passage beaucoup de polémiques.

 

Une histoire pas si nouvelle

 

A travers des chapitres courts, concis et denses, Annie Jourdan revisite les évènements de la période avec une profonde érudition. On devine chez elle des convictions qui la poussent à remettre en cause la vision de Furet et de ses héritiers qui se serait imposé depuis le début des années 80. Rappelons pour le néophyte que Furet fit beaucoup pour dégager l’historiographie de la Révolution d’une interprétation marxiste et marxisante, celle d’Albert Soboul, et qu’il proposa une interprétation « pré-totalitaire » de l’épisode de la Terreur. Annie Jourdan en prend l’exact contre-pied, refusant une vision téléologique de l’époque (89 ne menait pas obligatoirement à 93), avec raison. On la suit moins quand elle va jusqu’à assimiler la politique révolutionnaire à une réaction de défense contre les menées du Roi, puis des royalistes. Sans négliger le poids du mouvement contre-révolutionnaire, les révolutionnaires avaient suffisamment d’autonomie pour réfléchir et lancer leurs actions.

 

Peuple et Terreur

 

En fait l’ouvrage souffre d’un défaut épistémologique. Annie Jourdan ne cesse de parler du peuple, souvent agent conscient ou inconscient de la Révolution. Qu’est-ce que le « peuple » (on m’excusera les guillemets, pudeur d’ancien étudiant en histoire) ? Vaste sujet, les révolutionnaires se sont appuyés sur le « peuple » des villes, plus rarement sur celui des campagnes. Si celui-ci applaudit à la fin des droits féodaux (mesure soutenue par Louis XVI, je renvoie aux derniers jours de Versailles d’Alexandre Maral) et à la suppression de la dîme, son adhésion est beaucoup moins forte au moment de la constitution civile du clergé. Avec Annie Jourdan, la notion reste un peu floue. Et puis comment mesurer son adhésion à la Révolution ? En fait, le « peuple navigue », survit durant ces années, certainement en proie à des aspirations contradictoires.

 

Quant à la notion de « Terreur », l’historienne est plus précise et a raison de contextualiser la notion : on est plus proche ici du sac du Palatinat sous Louis XIV que de l’extermination des juifs au XXe siècle. Pour autant, elle parle peu de la Vendée. Mieux (ou pire) elle souligne l’alliance objective en province entre girondins et royalistes après l’expulsion des premiers de la Convention en juin 1793. Pour justifier la Terreur jacobine ? Enfin, elle tend à interpréter la loi de Prairial comme une tentative d’encadrer les excès révolutionnaires, contre les chiffres cependant (1251 condamnations à mort du 6 avril 1973 au 10 avril 1794, date de la promulgation, contre 1376  de la fin avril jusqu’au au 27 juillet 1794, date de la chute de Robespierre). Étrange…

 

Des vertus de la comparaison

 

Par contre, l’ouvrage devient pertinent et fascinant quand Annie Jourdan compare la Révolution française à ses devancières anglaises et américaines. Elle a raison de souligner que toute Révolution signifie la guerre civile. Elle démontre aussi combien la Révolution américaine ne fut pas si pacifique que certains ou certaines (Hannah Arendt par exemple), analysant les massacres et les épurations. Le bilan fut plus effroyable dans la future Grande-Bretagne : l’Irlande perdit, grâce aux dragonnades meurtrières de Cromwell, 40% de sa population. Chacune de ces révolutions connut donc son moment de Terreur, comparable à celui de la France. Voici donc une œuvre pleine de qualités mais partiale. A lire toutefois, pour réfléchir.

 

Sylvain Bonnet

 

Annie Jourdan, Nouvelle histoire de la révolution, Flammarion « au fil de l’histoire », février 2018, 657 pages, 25 euros

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