« La Nuit de la mort » de Raphaël Delpard

la nuit, quand revient la nuit…

Au Chat qui fume, réédition en Blu-ray de La Nuit de la mort, l’un des rares films fantastiques français tournés dans les années quatre-vingt. Le réalisateur Raphaël Delpard a depuis, la rage au cœur, renoncé — ou presque — au cinéma, mais, pour ceux que le thème de la résilience intéresse, il constitue un beau sujet d’observation.

Tous les bonus qui accompagnent les films édités en DVD ou en Blu-ray ne présentent pas un intérêt fulgurant, mais l’entretien avec le réalisateur qui est proposé dans la réédition de La Nuit de la mort mérite le détour. Raphaël Delpard ose en effet dire ouvertement ce que bien peu de gens osent dire dans le milieu du showbiz : la déception, l’amertume, le désarroi, les larmes lorsqu’un film sort et se révèle très vite être un échec critique et public. En l’occurrence, ce n’est pas La Nuit de la mort qu’il évoque ainsi,mais Clash, son second film fantastique, qu’il envisageait comme l’amorce d’un cycle et qui fut en réalité la dernière mesure d’une symphonie très inachevée : « J’ai vécu cela comme un échec personnel. Je n’avais pas su montrer ce qu’on pouvait faire avec ce genre de cinéma. Je me suis retrouvé seul face à des ricanements. »

Ce qui permet à Delpard d’évoquer aujourd’hui aussi ouvertement et, d’une certaine manière, sereinement cette étape douloureuse de sa carrière, c’est que patience et longueur de temps ont fait leur œuvre… Un tiers de siècle plus tard, il se passe quelque chose qui ressemble à une réévalutation, pour ne pas dire à une réhabilitation. Dans un documentaire américain sur le réalisateur américain de série B Al Adamson (qui vient d’être présenté au Festival Fantasia de Montréal et devrait être au programme de la prochaine édition de L’Étrange Festival), l’un des témoins — le comédien Ken Osborne — déclare : « Ces films qui étaient des bouses quand nous les avons tournés sont devenus des objets de culte. » Cette formule pourrait être reprise textuellement pour les deux films fantastiques de Raphaël Delpard. Lors des séances de dédicace qui ont accompagné la sortie du combo de La Nuit de la mort — Clash devrait suivre assez vite —, des quinquagénaires sont venus remercier le réalisateur de leur avoir donné le goût du cinéma fantastique en général. Certains arrivent avec des éditions VHS d’époque, japonaises, espagnoles, russes dont il ignorait l’existence. « Une victoire. Une récompense. Un vrai bonheur. Je trouve en face de moi des gens respectueux. Visiblement, La Nuit de la mort les a marqués. »

Lui-même avoue qu’il est mauvais juge. Il n’a revu que quelques minutes de son film, parce que revoir un de ses films ou relire un de ses livres des années après est pour lui « une torture ». Ces quelques minutes revues lui permettent toutefois d’affirmer que la narration dans La Nuit de la mort se caractérise par une réelle fluidité et que « l’orchestre » constitué par l’ensemble de ses comédiens « joue bien ». 

« La Nuit de la mort », une bien aimable assemblée

La Nuit de la mort n’est certainement pas un film parfait, mais c’est indubitablement un film marquant, au moins par son sujet, qui, à certains égards, devançait la mode actuelle des morts-vivants au cinéma. Donnons simplement le point de départ de l’histoire : une infirmière qui vient d’être engagée dans ce qu’on n’appelait pas encore à l’époque un EHPAD a rapidement le sentiment qu’il s’est passé et qu’il se passe de drôles de choses dans cet établissement, mais, un peu comme dans la nouvelle de Poe Goudron et Plume, on ne sait pas très bien si le mal est du côté du personnel ou du côté des patients. L’enjeu, en tout cas, est d’accéder à la vie éternelle. Ce thème qui pouvait encore faire sourire dans les années quatre-vingt fait beaucoup moins sourire aujourd’hui, où — au-delà des efforts, parfois très incertains, de la chirurgie esthétique — le nonagénaire, voire le centenaire tendent à devenir monnaie courante. En 1980, Raphaël Delpard offrait avec La Nuit de la mort une fable annonciatrice de cette modification de l’horloge biologique.

Trois jaquettes différentes de La Nuit de la mort

Clash, dont certains — parfois les mêmes qui l’avaient massacré en 1984 – saluent aujourd’hui la poésie, et qu’il faudra de toute façon revoir posément, marqua d’une certaine manière la fin de la carrière cinématographique de Delpard : « J’avais été moins insulté quand j’avais tourné Les Bidasses aux grandes manœuvres ! » Plus grave encore peut-être que les insultes, le silence. Pas une seule main tendue. Pas un producteur pour lui parler, pour l’aider simplement à comprendre pourquoi et comment il s’était trompé, s’il s’était effectivement trompé. Il put tourner, certes, une gentille petite comédie, impertinente juste ce qu’il fallait, Vive le fric !, mais les distributeurs se hâtèrent de l’enterrer. Il y eut également un téléfilm mélancolique, Le Marionnettiste, mais qui avait des allures de mise en abyme, puisqu’il avait pour héros un homme qui voyait son vieux métier de colporteur de spectacle disparaître sous les coups du monstre Télévision.

Delpard rangea donc au placard sa casquette de réalisateur, et connut, d’une certaine façon, une « nuit de la mort » professionnelle, mais il se souvint qu’il était au départ scénariste et qu’il aimait écrire. Un premier ouvrage documentaire, avec certaines résonances autobiographiques, en 1993 : Les Enfants cachés, et depuis, même si les liaisons amoureuses avec les éditeurs ne sont jamais très longues — eux aussi ont tendance à se montrer distants quand les chiffres de vente baissent et tous les ouvrages ne sauraient attirer, comme ces Enfants cachés, cent mille lecteurs —, près d’une trentaine de titres, plus d’un par an, presque tous sur des sujets historiques : « Oui, je me suis rendu compte en écrivant que j’aimais l’histoire. » Le drapeau français, la Guerre des Six Jours, Lucrèce Borgia (« qui n’était pas celle que l’on croit »), le rôle de la SNCF pendant la Seconde Guerre mondiale occupent ainsi les recherches du self-remade man. Paradoxalement, l’écrivain Delpard a permis au cinéaste de reprendre du service. Les Enfants cachés ont ainsi conduit à la réalisation d’un documentaire.

Il ne cherche pas vraiment ses sujets — ses sujets se présentent à lui. Il se souvient que le soldat qu’il était à vingt ans a « fait » la Guerre d’Algérie, mais, au fond, se dit-il, que sait-il de la Guerre d’Algérie ? Certes, il a été lui-même directement témoin de beaucoup de choses, dont beaucoup d’horreurs, mais ce retour vers son passé et vers le passé lui fait découvrir tout un pan d’histoire qu’il ignorait, celui des soldats enlevés par le FLN et condamnés, en l’absence de base fixe, à être des prisonniers nomades. Il raconte donc, dans son ouvrage Les Oubliés de la Guerre d’Algérie, le cas de ces hommes dont certains ont dû « tourner » sans arrêt trois ans durant à travers le désert. Il y a d’ailleurs, encore aujourd’hui, des prisonniers de ce type dans des pays fort peu lointains, mais une rencontre « inopinée » dans un train avec des représentants des services de sécurité marocains lui a fait comprendre qu’il valait mieux qu’il ne plonge pas trop son nez dans ce dossier s’il ne voulait pas avoir d’ennuis.

Raphaël Delpard

Ce dossier l’amène cependant à en ouvrir un autre, tout aussi délicat et tout aussi important. Alors qu’à Montréal il participe à un symposium sur les derniers prisonniers de guerre (car certains prisonniers, au bout d’un quart de siècle, sont toujours enfermés dans un bagne), il est abordé par des journalistes marocains qui lui proposent de regarder une vidéo « qui pourrait l’intéresser » : on y voit un mariage kabyle chrétien célébré dans une cave. Pendant huit ans, aidé par un circuit de relations, il se rend dans vingt-deux pays différents et découvre alors que la persécution des chrétiens ne s’abat pas seulement sur les chrétiens d’Orient. En Chine, au Japon, à Cuba aussi, il ne fait pas bon être chrétien aujourd’hui. Lafon dit tout de suite oui lorsqu’il propose un livre sur ce sujet.

En revanche, son dernier ouvrage, publié en février dernier, n’a pas du tout marché. Bad timing. En cette époque de familles décomposées, le sujet devrait toucher un large public, puisqu’il s’agit du combat des pères. La loi de 2002 établit le principe de la coparentalité lorsque se pose la question de la garde de l’enfant après un divorce, mais les juges, fidèles à « la tradition », continuent le plus souvent de confier l’enfant à la mère. Beaucoup de pères restent ainsi au bord de la route, mais le plaidoyer de Delpard en leur faveur a la mauvaise idée d’arriver à peu près au moment où surgit le mouvement #metoo. « Les féministes m’ont incendié. La presse féminine de gauche aurait sans doute pu corriger un peu le tir, mais le sujet ne l’intéresse pas. » Et si le mouvement #metoo a désormais perdu de son intensité, c’est de toute façon trop tard : « La vie d’un livre se joue aujourd’hui en trois semaines. »

À soixante-dix-sept ans, Delpard n’en garde pas moins sa fougue de jeune homme et il éprouve l’envie de revenir à ses premières amours — le théâtre. « Avec un regard vers le fantastique. » Le manuel du kit de survie se résume finalement, chaque fois, en quelques mots : retour à la case Delpard.

FAL

La Nuit de la mort,

ÉDITION LIMITÉE À 1000 EXEMPLAIRES.
PREMIÈRE MONDIALE EN BLURAY.

1 BLURAY (Français en DTS 2.0) & 1 DVD (Français en Dolby Digital 2.0)

BONUS :
• Nuit horrifique avec Isabelle Goguey (35 mn)
• Le tournage de la mort avec Raphaël Delpard (34 mn)
• Comparatif image (21 mn)
• Films annonces



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