On vient vraiment tous d’Afrique ? attention à l’angélisme
Un duo de chercheuses chevronnées
Pour signer « On vient vraiment tous d’Afrique ? », opus court et percutant, Evelyne Heyer, professeur en anthropologie génétique au muséum d’histoire naturelle, a uni ses forces à Carole Reynaud-Paligot, chercheuse associée au Centre d’histoire du XIXe siècle à l’université Paris I / Paris IV. Ces deux intellectuelles avaient déjà travaillé ensemble comme commissaires scientifiques de l’exposition « Nous et les autres. Des préjugés au racisme » qui s’était tenue au Musée de l’homme en 2017-2018.
De la science
Comme thèse de cet ouvrage on retrouve une démonstration, connue et admise des scientifiques, qui s’appuie sur les études génétiques : nous descendons tous de l’homo sapiens venus d’Afrique qui ont peu à peu colonisé le globe et il n’existe que peu de différences génétiques entre européens, asiatiques et africains : nous sommes de la même espèce et l’intelligence ne saurait dépendre du taux de mélanine (Miles Davis est par exemple un génie complet qui écrase largement nombre de musiciens blancs). De ce constat, le racisme sort invalidé en toute logique. Or ce n’est pas le cas, d’où quelque part la raison d’être de cet ouvrage. Divisé dans des chapitres plus ou moins longs, intitulés « qui a inventé les races ? » « ou comment naît le racisme ? », Evelyne Heyer et Carole Reynaud-Paligot construisent donc un petit livre toujours instructif, souvent pertinent mais… Il y a toujours un mais, cher lecteur.
De la politique
Arrêtons-nous d’abord un instant sur une évidence : les auteurs ont parfaitement le droit d’écrire un ouvrage politique, voire militant. D’abord, la politique n’est-elle partout au fond (vous avez quatre heures et je ramasse les copies) ? De plus, le racisme existe, infiltre parfois nos représentations de l’autre, et doit être combattu. Par contre, lire un chapitre intitulé « peut-on parler de communautarisme en France ? » qui conclue en disant :
Ainsi s’il n’est pas question de nier l’existence de replis identitaires localisés, on ne peut généraliser le phénomène : au contraire, force est de constater une réelle fluidité des relations sociales en France. »
On hésite, on réfléchit. Le phénomène est certes complexe, on ne peut généraliser à l’extrême mais juste signaler des replis identitaires localisés…Waouh, quid de la Seine Saint-Denis ou de certains quartiers de Marseille ? Et des autres ? Il s’agit là de faits, d’inquiétudes parfois relayées au sommet de l’Etat (songeons aux déclarations de Gérard Collomb). S’inscrivant clairement dans une veine antiraciste, la démonstration de nos deux auteurs, jusqu’ici très convaincante, fleure bon l’angélisme, ignorant une réalité parfois sombre…
Ici on ne souhaite pas l’apocalypse mais on s’inquiète tout de même de certaines tendances séparatistes, reproduisant un racisme à l’envers. On espère que des politiques sociales, économiques d’envergure permettront d’inverser ces tendances. Gardons-nous cependant de l’angélisme surtout qu’au fond, contrairement à ce qu’avancent bien des penseurs d’extrême-droite, comme ce livre l’indique au début, nous sommes tous issus du même « arbre »…
Sylvain Bonnet
Evelyne Heyer & Carole Reynaud-Paligot, On vient vraiment tous d’Afrique ?, Flammarion « champs actuel », février 2019, 144 pages, 7 eur