« Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? » le grand traumatisme des appelés

Une spécialiste de la guerre d’Algérie  

Professeure à l’université de Paris-Nanterre, Raphaëlle Branche s’est faite connaître avec sa thèse portant sur la torture exercée par l’armée française en Algérie, ce qui n’a pas été sans susciter des critiques tant sur le fond que sur la forme. Elle s’est ensuite intéressée à l’embuscade de Palestro (Armand Colin, 2010) puis a travaillé sur les prisonniers français avec Prisonniers du FLN (Payot, 2014). Elle a aussi publié un ouvrage de synthèse intitulé La Guerre d’Algérie : une histoire apaisée (Seuil, 2005). « Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? » est un ouvrage consacré à la masse des appelés ayant effectué leur service militaire en Algérie de 1956 (date à laquelle Guy Mollet décide d’envoyer le contingent en Algérie) à 1962. Elle a ainsi dépouillé les archives et envoyé des questionnaires à des anciens appelés pour saisir ce que fut leur expérience de la guerre et surtout de l’après-guerre, particulièrement au sein des familles.  

La « génération Algérie »

De fait, il y a une génération « Algérie », des jeunes gens nés entre 1934 et 1942 (on schématise), soit les classes d’âge précédant celles du Baby-boom, qui sont allés effectuer leur service militaire là-bas pour sauver l’Algérie française. Ils ont hérité, apprend-on ici, de leurs parents une culture de la guerre, souvent influencé par la défaite de juin 1940 et la captivité des pères.

Ces jeunes se retrouvent en tout cas plongés dans un conflit complexe, face à des populations arabes et berbères qu’ils ne connaissent pas. Le pire pourtant pour une partie de ces jeunes, au-delà des opérations militaires et des tueries, est d’être mêlé de près ou de loin à la torture.  

Les risques psychiatriques  

A la lecture de ce livre, on prend conscience d’une réalité : la médecine psychiatrique française n’était pas prête face au drame algérien. Ces jeunes soldats, pour une partie d’entre eux, ont subi des traumas, plus ou moins importants. Pour les cas les plus graves, rien n’était prévu mais rien, surtout, n’a ensuite été mis en place pour le suivi, à part l’internement. .. Les conséquences en termes de prise en charge furent terribles.

Et puis la société française des années 60 a « chassé » cette guerre fantôme. On ne parle pas de l’Algérie, ou peu, dans les familles. On travaille, on se marie, on achète une résidence secondaire… tant pis si on sursaute lorsqu’un pétard explose ou si on se réveille la nuit après un cauchemar…  

Mémoires familiales  

Beaucoup d’appelés sont donc revenus marqués de leur service militaire là-bas. Certains en ont ramené des souvenirs, parfois issus de pillages. Beaucoup se sont réfugiés dans un racisme anti-arabe nourri de la douleur d’avoir perdu des camarades lors des combats. D’autres ont aussi vu la réalité de l’exploitation coloniale. Dès lors leur comportement de soldat est entré en contradiction violente avec leurs convictions politiques (songeons à nombre de militants communistes). Certains sont ensuite revenus en Algérie en tant que coopérants.  

On découvre aussi avec l’ouvrage de Raphaëlle Branche combien la mémoire de cette guerre est entrée dans les familles. Les enfants ont fini par interroger les pères (ou les oncles). Certains ont rédigé des témoignages qu’ils ont lu ou laissé à leurs descendants. Avec cet ouvrage, on réalise à quel point la société française a été imprégnée par cette guerre. Un livre majeur, risqué dans sa méthode (quel échantillon ? Combien par rapport à la masse ? etc…), mais toujours passionnant.

Vive le débat donc. Un débat qui doit amener à une réconciliation avec ce pays avec lequel nous partageons, souvent malgré nous, beaucoup de choses.    

Sylvain Bonnet  

Raphaëlle Branche, « Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? », La découverte, septembre 2020, 512 pages, 25 eur

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