Partisans et centurions, guérilla et contre-insurrection

Un débat contemporain

Docteur en Histoire, Elie Tenenbaum est chercheur à l’IFRI, au centre des études de sécurité. Il a publié Partisans et centurions en octobre 2018 qui est une étude sur la guerre irrégulière au XXe siècle. Qu’est-ce que la guerre irrégulière me demanderait avec raison mon neveu ? C’est un concept qui intègre la guérilla, la subversion, la guerre psychologique. Si on suit Le Modèle occidental de la guerre de Victor David Hanson (Les belles lettres, 2001), l’Occident ignore le plus souvent ce mode de conflit, préférant depuis l’antiquité grecque l’affrontement d’armées régulières sur le modèle hoplitique et sur un plan tactique des batailles d’anéantissement sur le modèle de la bataille de Cannes, remporté sur les romains par Hannibal lors de la 2e guerre punique. Un autre ouvrage de Jean-Vincent Holeindre, La Ruse et la force (Perrin, 2017) remet en cause ce modèle explicatif né après la guerre du Vietnam et démontre l’importance des stratagèmes et de la ruse (la « métis » des grecs) et de la guérilla dans la stratégie occidentale. Qu’apporte Partisans et centurions après ces deux magnum opus d’Elie Tenenbaum ?

Un héritage du « court » vingtième siècle

Si on suit Elie Tenenbaum, la « guerre de l’ombre » s’épanouit au vingtième siècle, dès la première guerre mondiale, avec les britanniques. Ceux-ci l’expérimentent sur l’Empire ottoman, envoyant Lawrence pousser les Arabes à la révolte, avec des résultats plutôt concluants. La deuxième guerre mondiale voit les britanniques isolés, seuls face aux nazis après la défaite de la France. Ils décident alors, via par exemple le SOE, de propager la guerre irrégulière sur le continent en attendant l’intervention américaine ou la défaite allemande à l’est.

Cette expérience n’est pas perdue, les américains et les français en profitent : ces derniers vont approfondir le sujet en Indochine et surtout en Algérie. Des officiers comme Roger Trinquier ou David Galula étudient et publient leurs réflexions, fondant une école de pensée de la « contre-insurrection », censée répondre aux guérillas jugées comme pro-communistes qui parsèment alors le tiers-monde, qui va essaimer aux Etats-Unis ou en Amérique latine durant les dictatures militaires.

Un concept riche mais avec peu de résultats

Autre chose apparaît avec cette étude : la guerre de l’ombre ne suffit pas à gagner une guerre. La pratique de la contre-insurrection, reprenant par exemple des concepts maoïstes, ne suffit pas à vaincre en Algérie. Au Vietnam, les américains échouent à rallier les populations du Sud, en partie déplacés et dégoûtés d’un régime corrompu. Et dès la Seconde Guerre Mondiale, le SOE perturbait l’effort de guerre nazi mais ne remettait pas en cause la domination militaire de la Wehrmacht. Rien ne vaudrait donc les grands bataillons ? Pas tout à fait. La guerre de l’ombre, la guerre irrégulière a repris du poil de la bête face à des adversaires comme Al Qaida ou Daesh.

Voici un ouvrage stimulant pour la réflexion et surtout très actuel.

Sylvain Bonnet

Elie Tenenbaum, Partisans et centurions, Préface de Gérard Chaliand, Perrin, octobre 2018, 528 pages, 25 eur

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