500 Je me souviens… Jean-Pierre Jeunet dans un inventaire à la Georges Perec

Je me souviens de la sortie de Delicatessen. Qui fut ressentie comme un choc (salutaire) par les vrais amateurs de cinéma. Enfin un film d’un ton nouveau, mélangeant humour et poésie. De la première à la dernière image, j’étais surpris, amusé, séduit. Un régal. Avec ces incroyables moments forts que furent les grincements du sommier, le violon sur le toit (d’accord c’était un violoncelle), les boites qui meuglent quand on les retourne, etc. Tout cela laissait présager Amélie Poulain mais nul ne le savait encore…

Je me souviens que peu avant la sortie d’Amélie Poulain (que j’avais vu en projection de presse, chanceux que j’étais !), tout le monde m’appelait pour me demander « Alors ? C’est vraiment le meilleur film de l’histoire du cinéma français ? » Bien qu’ayant beaucoup apprécié cette œuvre (et je n’allais pas être le seul), je calmais les ardeurs en rappelant combien il était difficile (pour ne pas dire impossible) de dépasser Les Enfants du paradis. 

Je me souviens de l’engouement que provoqua Amélie et des idées qui se propagèrent dans le quotidien. J’ai personnellement transporté un objet (je ne sais plus lequel) dans mes voyages à l’étranger pour le photographier devant des monuments ! 

Je me souviens aussi (en fait, je m’en suis rendu compte à postériori) des articles de Jean-Pierre Jeunet dans le Fluide Glacial de la grande époque (celle où Gotlib était encore peu ou prou aux manettes). Chronique dans lesquelles ce trublion se moquait du cinoche en inventant des scénarios zarbis et des critiques déjantées (on en trouve un exemple dans cet ouvrage).

Je me souviens, enfin, avoir raté la sortie de L’Extravagant Voyage du jeune et prodigieux TS Spiver et l’avoir téléchargé dès que possible (oui, je sais, c’est pas bien mais j’étais impatient !) pour le visionner pratiquement deux fois d’affilée tant j’étais subjugué (si vous ne l’avez jamais vu, cessez de me lire immédiatement et précipitez-vous chez votre revendeur favori). 

 

 

Tout cela pour dire que Jean-Pierre Jeunet est indubitablement un cinéaste marquant, inventif, rusé, subtil, même si je n’ai strictement rien compris à sa version d’Alien (il faut dire que j’avais manqué l’épisode précédent !). 

Or, voici qu’enfin, ce cinéaste-cinéphile qui ne cache pas ses références (chose rare à une époque où tout le monde affirme être marqué par le sceau du génie) couche ses souvenirs sur papier vélin. 500 je me souviens (je ne les ai pas comptés, je fais confiance à l’éditeur).

Jeunet ne s’embarrasse ni de détails ni de formules alambiquées. Au gré de ses réminiscences et de ses envies, il nous révèle ses anecdotes sans fioriture et, surtout, sans jamais essayer d’y avoir le beau rôle. Les faits se succèdent sans se bousculer avec humour et honnêteté. C’est simple, c’est bien vu et c’est surtout très efficace. On prend un véritable plaisir à savourer ses tranches de vie cinématographique.

Le seul hic (putatif) est que pour bien apprécier le suc de ces anecdotes – que Jeunet balance avec peu d’explications -, il est préférable de bien connaitre les films du susdit (au besoin on peut les revoir, cela ne fait pas de mal). Exploit envisageable pour ses « grands » films (pratiquement tous) mais quand il s’agit de détails du Bunker de la dernière rafale, la mémoire se met à pédaler dans le gloubiboulga.  

Pour autant ce livre ne s’adresse pas aux fans purs et durs, aux inconditionnels du cinéma de Jeunet mais plus généralement à ceux qui ont apprécié tout ou partie de ses films, voire à n’importe qui aimant les anecdotes sur le cinéma. 

Il contient beaucoup de surprises, énormément de dérision, des pointes de bon sens. Avec en fil rouge ce sympathique garçon qu’était (et qu’est surement toujours) Harvey Weinstein, homme qui tenait une paire de ciseaux dans une main et sa verge dans l’autre. Malheureusement il n’eut jamais la bonne idée de se servir des premiers pour sectionner la seconde. Sans doute n’a-t-il jamais vu Depardieu dans La Dernière Femme !

Au rayon des surprises, l’une m’a retournée. Ce qui n’est pratique pour lire. Je me souviens (encore) avoir demandé à M. Jeunet si le titre Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain était un clin d’œil au Destin Fabuleux de Désirée Clary, réalisé par Sacha Guitry. Or, il me répondit assez fermement « Non ! », précisant qu’il détestait Guitry. Certes. Or que ne lis-je pas page 144 ? « Finalement, c’est Sacha Guitry, auteur du Destin Fabuleux de Désirée Clary qui me souffle le titre » ! On pourrait prétexter mon grand âge, mes fonctions cognitives déficientes mais j’ai la preuve enregistrée noir sur blanc comme disent les journalistes de la télé. Je n’en tire aucune conclusion. Je me contente d’énoncer un fait qui n’écorne en rien le plaisir que j’ai pris à voir et revoir Amélie Poulain (dans mon livre sur la Filmothérapie, j’ai cité ce film comme référence pour la rubrique « Comment construire son bonheur tout en assurant celui des autres »). Peut-être un jour aurais-je l’explication de ce revirement mais cela n’a guère d’importance…

En attendant le prochain film de Jeunet, sachons apprécier ses souvenirs… de jeunesse.

 

Philippe Durant

Jean-Pierre Jeunet, 500 je me souviens… anecdotes de tournage, illustration de Charlie Poppins, LettMotif, avril 2018, 250 pages, 18 eur

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