Angkor, La forêt de pierre
Réédition d’un classique sur le site d’Angkor
Bruno Dagens, disparu en 2023, était un éminent archéologue et philologue, spécialiste de l’Extrême-Orient : Cambodge, Thaïlande, Laos et Inde. Il enseigna dans ce cadre à l’université catholique de Louvain, puis à la Sorbonne. Mais il est surtout connu par le grand public pour l’adaptation en film documentaire en 2002, de sa monographie Angkor, la forêt de pierre parue en 1989 et rééditée sous le même format de la collection Découvertes Gallimard.

Angkor Thom fut capitale de l’empire cambodgien du IXe au XIVe siècle avant d’être désertée en 1431. Bruno Dagens a accompagné son exploration et sa conservation en tant que membre de l’Ecole Française d’Extrême-Orient à partir de 1969. Il retrace ici l’histoire de redécouvertes suscitant l’émerveillement des visiteurs, à commencer par celle d’un explorateur chinois du XIIIe siècle, en passant par les Siamois, les Birmans, lors de leurs conquêtes, puis par le roi du Cambodge lui-même à la fin du XVIe siècle , avant de susciter l’intérêt des européens en 1863.
Il fallut un certain temps pour que l’ampleur du site — cinquante le long du fleuve — soit évaluée, avec non seulement le temple d’Angkor Vat, véritable complexe religieux assez bien préservé, mais aussi la ville ancienne d’ Angkor Thom avec ses temples les plus connus du Baphûon et du Bayon parmi deux cents que comptait le site.
L’historien montre comment, au fil des siècles, les mémoires et descriptions se transmettent parfois de seconde main, reproduisant des erreurs ou des oublis, introduisant des représentations fantasmatiques.
Les premières images
Les premiers plans du temple datent du XVIIe siècles de la part de Japonais ; leur précision va s’améliorer à partir du XIXe siècle avec les dessins et peintures réalisées par Henri Mouhot, naturaliste, et dessinateur, puis par l’arrivée d’un photographe anglais.
Car il y a rivalité entre la France et l’Angleterre, installée au Siam qui lui-même a annexé Angkor. De là, date le protectorat français de 1864 sur le Cambodge. La France envoie dès lors des expéditions à Angkor et en Chine, qui donnent lieu à l’édition d’un premier travail collectif , Voyage d’exploration qui accorde à l’art khmer une place « presque » égale à celle de l’art occidental.
Le regain d’intérêt pour Angkor est conforté par les expositions universelles à commencer par celle de 1867 qui introduit des moulages et donne à voir par la suite des documents inédits .
Cette médiatisation avant l’heure ne va pas sans ses revers, avec des touristes ramenant des souvenirs dont peu se retrouveront dans les musées et prépare le temps où ces objets deviendront la proie des marchands.
La restitution d’Angkor au Cambodge en 1907 permet l’exploration et la préservation du site sous la houlette d’un premier conservateur. Se succèdent les épigraphistes et des passionnés, parfois mi- savants, mi- artistes qui effectuent un travail de fourmis, tandis que les visites des touristes commencent à être surveillées et organisées, ce qui n’empêche pas les prédations dont la plus célèbre est celle d’André Malraux. Les blocs saisis viennent d’ un temple situé à vingt kilomètres au nord-est de la ville, Banteay Srei. Suite à un procès, et à la restitution des pièces à l’Etat, La Voie royale sera la version romancée de cette expédition.
Le même temple bénéficiera des premières anastyloses sur le modèle de celles réalisées en Indonésie par les Néerlandais.
Un intérêt pour le site ininterrompu
Une des caractéristiques du site est d’avoir été relativement épargné par le contexte politique. Après la seconde guerre mondiale, la progression des moyens techniques permet aux d’archéologues d’effectuer des restaurations et reconstructions rigoureuses.
En raison de la guerre civile (1967 à 1975) et ensuite de la prise de pouvoir par les Khmers rouges (1975-1979), et malgré la considération des deux camps pour le site, Angkor Vat a souffert d’un certain abandon. Depuis 1992, la Ville est inscrite au patrimoine mondiale de l’Unesco.
Rapidement mise à jour , la monographie de Bruno Dagens s’arrête là.
Epilogue
Malheureusement, une nouvelle crise éclate en 1997 entre les royalistes du FUNCIPEC et Hun Sen, , représentant du PPC, Parti du Peuple cambodgien. Depuis, dans un accord de coalition, le parti de Hun Sen domine un régime politique autocratique; son fils lui succède en 2023.
Dans la première décennie des années 2000 , une étude archéologique internationale a étudié les causes de l’effondrement de 1431 en lien avec le réseau hydraulique.
Evidemment, le livre de Bruno Dagens ne peut aller jusque-là ; toutefois il demeure une référence historiographique accessible au grand public. Malgré le petit format, les illustrations de la première partie, plans, dessins , photographies, peintures indispensables à sa compréhension, accompagnent le texte. Dans la seconde partie, documentaire, on trouve des textes de Pierre Loti ou de Claudel qui rendent compte de leur fascination.
Florence Ouvrard
Bruno Dagens, Angkor, La forêt de pierre, Découvertes Gallimard, mai 2025, 192 pages, 16,30 euros