Gog Magog, Patricia Melo et le portrait de la ville

Gog et Magog sont des figures mystérieuses de la Bible et du Coran, que l’on retrouve çà et là dans la religion chrétienne et juive. Pseudo prophètes pour les uns, adversaires de Dieu pour les autres, ils sont parfois considérés comme de cruels meurtriers, génies du mal, en quelque sorte. Patricia Melo, brésilienne d’origine mais installée en Suisse, a donné leurs noms à son roman Gog Magog. Cependant, l’histoire ici racontée est fort éloignée des saintes écritures, puisqu’elle évoque comment un professeur de Sao Paulo, dans le Brésil d’aujourd’hui, livre jusqu’à la mort un combat contre le Bruit. Le Bruit, cet adversaire majuscule du bonheur, de la pensée, du silence, de la vie normale, le Bruit qui affecte et pollue tout, le Bruit qui rend fou. En d’autres termes, Gog Magog est un livre sur ce fléau des villes modernes : le Bruit. Et par une assimilation toute naturelle, un livre sur le Silence. 

Le bruit et le silence

De ce professeur brésilien, héros malheureux de l’ouvrage, on retiendra d’abord qu’il ne peut plus supporter les bruits exaspérants que fait son voisin, dans l’immeuble qu’ils habitent. De là, nait une sourde colère, puis une animosité qui devient de la haine, laquelle réclame vengeance. Tout s’enchaine ensuite vers le drame, comme dans une tragédie antique, et plus rien n’arrête la violence. Ou plutôt, elle ne s’arrête qu’entre les mains des docteurs et des juges, signe que le Bruit maudit a bien fait des dégâts irréversibles. 

Patricia Melo, visiblement, connait bien son sujet, mais ce n’est pas seulement de cela qu’elle parle. A la manière d’une fable dramatique, elle brosse de son pays un portrait sombre, quoique coloré d’une ironie parfois mordante. « Toutes les neuf minutes que nous passons ici à discuter, une personne est assassinée au Brésil », dit l’un des personnages. Et plus loin, c’est un magistrat qui dénonce : « Pour une place de stationnement, nous mettons fin à la vie d’un automobiliste ! Nous n’avons pas le moindre problème avec cette tuerie ». Voilà pour l’ambiance… 

un monde épileptique

Une autre conséquence du Bruit dévastateur serait, selon l’auteure, l’épilepsie, maladie qui se répand dans le monde. « L’épilepsie peut altérer nos pensées, nos perceptions, notre conduite et notre mémoire, de façon temporaire ou définitive » explique un neurologue. Un autre suppose que tout le mal du Brésil vient du fait que les évangélistes y supplantent progressivement les catholiques, ce qui entraine une désagrégation de la société. Bref, un vent de folie semble souffler sur ce grand pays.

Le livre s’achève sur une considération alarmante : 

Il n’y a pas d’échappatoire possible. Le bruit est la torture de l’homme de pensée. Il nous ôte toute capacité de raisonner. Le silence est la poutre maitresse de la raison, de la connaissance, du repos, de la santé. Le bruit nous fragmente.

Patricia Melo a réussi avec Gog Magog un petit bouquin riche et dense, qui se lit comme un roman policier. L’humour n’y est pas absent, non plus que la précision avec la laquelle elle ausculte puis dissèque les maux de la Grande Ville. Une grande ville qui est Sao Paulo, mais qui pourrait être n’importe quelle autre. 

Didier Ters

Patricia Melo, Gog Magog, traduit du portugais (Brésil) par Vitalie Lemerre et Eliana Machado, Actes Sud, mai 2021, 150 pages, 17,80 euros

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