« Les Dieux cachés » d’Olivier Maillart
Premier roman, premier bonheur. Pour l’auteur certes, aussi pour le lecteur, ici la lectrice, heureuse de se trouver soudain ravie et non, comme elle avait fini par le croire, aigrie. Quoi ! des blancs becs aujourd’hui publient, quand elle… Et bien non, la lectrice n’a perdu ni sa capacité d’admirer ni de louer. Elle attendait un objet. Le voici : Les Dieux cachés d’Olivier Maillart.
Sous le signe de Flaubert et la plume de Maillart, la Normandie redevient terre littéraire. En effet, derrière la simplicité et la modestie apparentes de ce bref roman, beaucoup d’intelligence et une réelle culture littéraire se dissimulent, qui donnent à ce texte une architecture solide comme la cathédrale de Rouen et lui permettent de sonner juste le glas de la littérature d’analphabètes ou de cuistres encombrant d’ordinaire les offices.
Frappe ici la remarquable maîtrise d’un primo-romancier qui sait aussi user de la mémoire cinéphilique de ses lecteurs et de ses personnages pour faire avancer le récit à l’allure congruente comme Flaubert hier réclamait au théâtre le même service. On songe à Carpenter, aussi à Wikermann, L’homme d’osier, ce chef-d’œuvre d’humour béotien, appliqué à l’homme de la ville, au fonctionnaire. Qui se frotte à la province, parfois se brûle… A la bêtise toujours et celle-ci sait des ruses pour réjouir le lecteur, pourvu que le romancier sache l’art de les capter comme particules de poussières au rare soleil normand.
Maupassant :
Quelle que soit la chose qu’on veut dire, il n’y a qu’un mot pour l’exprimer, qu’un verbe pour l’animer et qu’un adjectif pour la qualifier. Il faut donc chercher, jusqu’à ce qu’on les ait découverts, ce mot, ce verbe et cet adjectif, et ne jamais se contenter de l’à peu près, ne jamais avoir recours à des supercheries, même heureuses, à des clowneries de langage pour éviter la difficulté. / […] Il n’est point besoin du vocabulaire bizarre, compliqué, nombreux et chinois qu’on nous impose aujourd’hui sous le nom d’écriture artiste, pour fixer toutes les nuances de la pensée ; mais il faut discerner avec une extrême lucidité toutes les modifications de la valeur d’un mot suivant la place qu’il occupe. Ayons moins de noms, de verbes et d’adjectifs aux sens presque insaisissables, mais plus de phrases différentes, diversement coupées, pleines de sonorités et de rythmes savants. Efforçons-nous d’être des stylistes excellents plutôt que des collectionneurs de termes rares. »
A la leçon de Maupassant, Maillart s’astreint, opérant la drastique sélection des éléments significatifs, s’évertue et réussit à dire beaucoup en peu de mots, privilégiant toujours le mot simple contre l’artiste, le modéré contre le trivial et toujours fait naître le comique. De l’école normande, aussi le choix de ces merveilleux anti-héros que sont professeurs, bibliothécaires archivistes à marottes et libraires ! Tout ceci tombe à merveille, puisque l’on ne parle bien que de ce que l’on connaît. Ici, l’auteur, turbo-prof est à son affaire, qui sait le milieu, sa faune, sa flore, son climat et a su en recréer le parfait microcosme. Ici, pas de vivisection sèche, de non-langue ou novlangue, frauduleusement rebaptisées écriture blanche ou hyperréaliste, post hussarde ou néo je ne sais et ne veux savoir quoi. Maillard est un classique qui, aux ombres de Bouvard et de Pécuchet, réclame le droit de se moquer des ridicules.
Je ne vous dévoilerai rien de l’intrigue, trop désireuse de vous voir acquérir ce joli livre qui, c’est là son rare mérite, à l’instar de tous les livres des rentrées littéraires qui se succèdent depuis dix ans, s’ébaudit- air connu – des ravages causés par le retour du religieux sous toutes ses formes, dans un pays livré à la déraison générale sous couvert de scientisme, sans oublier ce fichu Capital qui a joué au dés notre royaumeet évidemment l’a perdu. Aucun thème n’est nouveau :ni celui du snobisme bobo — celui qu’avec génie Marcel Aymé avait dégommé, en pure perte, dans Travelingue — ni la fracture générationnelle, amplifiée par les publicitaires et les réseaux sociaux, pas davantage le thème rebattu du silence des clochers dans les villages de France, d’ordinaire traités avec lourdeur, grossièreté, vacarme et violence : tous les marqueurs de l’art brut contre le raffinement universitaire.
Au vestiaire déposés, le savoir et la blouse de l’instituteur, ancrés dans la conscience seule et jamais étalées aux yeux de son lecteur, Maillart se contente d’ajouter un infime chapitre à l’inépuisable thesaurus de la bêtise humaine. C’est déjà formidable.
Sarah Vajda
Olivier Maillart, Les Dieux cachés, éditions du Rocher, janvier 2019, 168 pages, 16,90 euros