Fais de beaux rêves, quand Philip Le Roy habite vos cauchemars
Il aurait pu être un collégien ordinaire, mais son surnom de Split n’est pas usurpé : Joachim vit avec des amis imaginaires à qui il parle à haute voix. C’est un peu le cinglé du collège. Autre cinglée, Aline, qui s’habille de crasse et de détestation de ses contemporains. Philip Le Roy va propulser cet improbable duo dans une aventure exceptionnelle d’intensité et de folie. Et le titre, Fais de beaux rêves…, prends toute sa valeur ironique !
des ados pas comme les autres
Comment ai-je pu mal interpréter une phrase d’un ami imaginaire ? Serais-je capable de formuler une pensée que je ne comprends pas ?
S’il n’est pas vraiment atteint de troubles dissociatifs de l’identité, Joachim a quand même des amis imaginaires bien réels, et auxquels il parle comme à tout autre. Parfois, cela donne des situation cocasses, parfois il est carrément flippant. Les amis de Joachim se matérialisent, sans qu’il ne les appelle, et interagissent avec lui comme de leur plein gré. Ce n’est pas la grande forme dans sa tête…
Les parents de Joachim sont morts dans un accident de voiture. Il ne lui reste d’eux qu’une mini bible et une photographie, qu’il conserve précieusement. Sa famille d’accueil est aimante, le psychologue attentionné. Tout pourrait presque bien se passer. Sauf que Joachim entend des voix, en plus de toutes celles qu’il a dans la tête. La nuit, sa chambre se transforme en film d’horreur avec crissements, mouvements intempestifs et surtout des apparitions : il voix le fantôme de ses parents. Et des voix qui lui répètes « rends la nous. » Chaque nuit est un calvaire, et chaque journée la vie réelle le déçoit : les gamins de son âge sont bêtes et méchants.
Sauf Aline, une fille étrange qui s’habille le plus mal et salement possible. Deux exclus qui vont s’apprivoiser, unir leurs forces et finir par comprendre à quel mystère Joachim est lié. Cette découverte donne une dimension supérieure au roman, en faisant aussi un vrai roman à énigmes fondés sur une vérité millénaire…
un maître du genre
Philip Le Roy sait comme nul autre installer un décor et y perdre ses personnages. Pas de maison hantée cette fois-ci — même si la chambre de Joachim est tout sauf calme ! —, mais surtout un entre-deux où le réel et l’imaginaire se disputent la première place. Joachim est-il devenu complètement fou ou bien ses visions sont-elles des signes d’un au-delà avéré et qui lui confierait une mission ? Le désir d’amour ne lui fait-il pas recréer un monde à lui pour éviter le monde réel ?
Joachim est un personnage très attachant, dont on suit l’évolution avec plaisir. Ainsi que celle de son amie Aline. Ils sont tous les deux embarqués dans une histoire de fantôme et de folie dont ils se relèveront renforcés. Car il faut sans doute traverser l’enfer pour voir de la beauté du monde.
Fais de beaux rêves est un roman particulièrement prenant qui confirme l’immense talent de Philip Le Roy pour raconter des histoires à ne pas fermer l’œil de la nuit. Un maître du genre.
Loïc Di Stefano
Philip Le Roy, Fais de beaux rêves, Rageot, septembre 2021, 434 pages, 15,90 eur