Tout peut arriver, le premier film de Philippe Labro

Avant d’être le titre français du film américain avec Jack Nicholson et Diane Keaton Something’s Gotta Give (2003), Tout peut arriver était le titre du premier film de Philippe Labro, sorti en 1969 et pratiquement invisible depuis, bloqué — air connu — pour de sinistres histoires de droit. Il y a encore cinq ans, Labro lui-même se demandait si l’on pourrait jamais redécouvrir cette œuvre de jeunesse. Mais les éditions Montparnasse ont réussi à dénouer l’écheveau, puisqu’une édition B-r/DVD est enfin disponible, avec en bonus une interview de Philippe Labro réalisée très récemment.

Le scénario n’était pas très solide, explique-t-il. C’était plutôt une suite de sketches qu’autre chose. Mais, ajoute-t-il, le film contenait un certain nombre d’éléments « attractifs ». Le plus attractif d’entre tous aujourd’hui ne l’était pas à l’époque : Tout peut arriver était le premier film de Labro réalisateur, mais c’était aussi le premier interprété par un garçon coiffeur qui n’allait pas tarder à changer de métier : Fabrice Luchini. Ce jeune homme avait royalement dix-sept ans lorsque sa route croisa celle de Labro, mais celui-ci sentit immédiatement le Napoléon qui perçait sous ce Bonaparte et décida de lui donner un rôle important dans son film : Luchini gamin avait déjà toute l’assurance légèrement exaspérante de Luchini aujourd’hui. Même voix, mêmes tics, même ton doctoral… Tout y est !

L’histoire s’inscrivait dans le genre du road movie (1969, c’était aussi l’année d’Easy Rider), et nous faisait suivre un journaliste – interprété par Jean-Claude Bouillon et doppelgänger avoué de l’auteur – qui, après un long séjour aux États-Unis, décidait de partir à la découverte de la France « profonde ». Au hasard ? Pas tout à fait, puisque cette quête se doublait d’une autre quête, plus personnelle : notre homme avait aussi pour mission de retrouver la trace de son ex-femme, dont personne ne semblait savoir ce qu’elle était devenue.

Disons-le tout net, Tout peut arriver se caractérise par une naïveté souvent désarmante, un peu dans l’esprit des magazines Salut les Copains et Mademoiselle Âge Tendre version sixties (tout commence avec une séquence dans laquelle Chantal Goya interprète une « sondeuse » chargé d’interroger les passagers qui débarquent à Orly, ce qui nous donne l’occasion de voir notre héros se définir comme un « ancien observateur »), mais il y a dans l’ensemble un mouvement et une sincérité qui emportent l’adhésion. Labro s’interdit d’ailleurs les joies d’un happy end vraiment happy. S’étant acquitté de ses deux missions, son double cinématographique décide qu’il n’a plus rien à faire en France et s’en retourne aux États-Unis, ce qui est assez drôle si l’on songe que Labro lui-même a déclaré un jour dans une interview que, malgré sa fascination pour les États-Unis, il n’avait jamais songé à faire carrière ailleurs qu’en France. La combinaison – la contradiction de ces deux points de vue ne surprendra pas ceux qui, ayant vécu plus ou moins longtemps la vie et la mélancolie des expats, n’appartiennent plus à la catégorie, si bien définie par Brassens, des imbéciles heureux qui sont nés quelque part.

FAL

Tout peut arriver. Un film de Philippe Labro. Avec Jean-Claude Bouillon, Prudence Harrington, Catherine Allégret, Fabrice Luchini, André Falcon. Couleur, 80 minutes. Éditions Montparnasse. Blu-ray et DVD.

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