Anne de France, la première femme de pouvoir de la Renaissance
Aubrée David-Chapy, spécialiste de l’histoire des femmes aux XVe et XVIe siècles a consacré sa thèse à Anne de France et Louise de Savoie, parue en 2016 chez Classiques Garnier. Elle reprit cette étude en 2022 et 2023 sous forme de diptyque dont le premier volet, Anne de France, gouverner au féminin à la Renaissance vient de paraître en poche chez Alpha histoire.
Régente officieuse
L’historienne montre comment Anne de France, fille de Louis XI, sœur de Charles VIII, puis éducatrice de nombreuses princesses, présentait d’éminentes qualités pour exercer une influence de premier plan à la charnière de deux mondes, le Moyen-Age et la Renaissance.
En effet, à la mort de Louis XI, et parce qu’elle et son époux, Pierre de Beaujeu, avaient déjà la confiance et la considération du roi, elle sut s’imposer de fait comme la conseillère politique et la tutrice de son frère, qui n’avait pas tout à fait atteint la majorité.
« Son gouvernement correspond en effet au moment de la naissance de la régence féminine sous sa forme parachevée et institutionnalisée ».
Diplomate et fine politique
Mais ce ne sont que les débuts d’un pouvoir, d’une présence de l’ombre qui perdurera jusqu’au sacre de François Ier. Tout d’abord, sur le plan intérieur, elle doit faire face, entre 1485 et 1488, à la « Guerre folle » qui oppose le parti royal à des ligues de princes rebelles, dont Louis II d’Orléans et le duc François II de Bretagne sont les meneurs principaux.
Plus tard, quand Charles VIII veut prendre Naples, elle sait jouer de ce que l’historienne appelle un « réseau féminin », et d’appuis divers, pour apaiser tantôt l’Angleterre, Maximilien d’Autriche ou l’Espagne. Elle et son mari obtiennent même pendant cette guerre la « lieutenance du gouvernement » à partir de leur cour de Moulins.
« Elle s’impose comme pivot de l’information, dont elle maîtrise la circulation, la réception et la diffusion. »
Humaniste et éducatrice
Anne de Beaujeu est une « passeuse » entre le Moyen-Age et la Renaissance. Elle hérite de la bibliothèque de sa mère, qu’elle enrichit par des acquisitions, des commandes et à laquelle s’adjoint celle, non moins riche, de son époux.
Ses lectures vont de la politique aux livres pieux, en passant par l’histoire et la morale, et Christine de Pisan y occupe une place de choix. Anne elle-même est autrice d’ Enseignements à sa fille Suzanne , lesquels ont inspiré bien des femmes, à commencer par Louise de Savoie.
Mais l’éducation livresque ne fait que prolonger celle qu’elle dispense à de nombreuses jeunes filles, nièces, cousines ou femmes de sa cour avec lesquelles elle entretient des liens de confiance, voire d’affection. Ainsi, non seulement elle a assuré protection à la petite Marguerite d’Autriche qui devait épouser Charles VIII, mais elle a également soutenu ou accueilli des princesses d’Italie, comme Claire de Gonzague qui devint un relais indispensable entre la France et l’Italie sur le plan politique mais aussi artistique.
« A l’instar de certaines princesses italiennes, la duchesse de Bourbon a créé une sorte de cour des Arts qui regroupe des peintres, des enlumineurs, des maîtres verriers, des sculpteurs ou encore des orfèvres au prestige inégalé. »
Une femme politique idéale ?
On ne peut qu’être impressionné par la somme de qualités que réunissait cette princesse sur les plans intellectuels, culturels et politiques.
Pour assurer la stabilité de l’État et la lignée des Bourbons, elle exerça une « politique de la faveur » par des relations de dons et contre-dons qui régissaient alors les alliances ; certes, elle manifesta un art de la représentation, et parfois de la dissimulation, mais on lui reconnaît d’avoir toujours agi avec réserve, tact, et mesure, sans jamais chercher à humilier ses adversaires ou ses ennemis. Elle fut suffisamment habile pour asseoir son influence dans un monde d’hommes, sans outrepasser certains usages de l’époque.
En somme, ce livre donne matière à réflexion sur l’exercice du pouvoir politique.
Florence Ouvrard
Aubrée David-Chapy, Anne de France, gouverner au féminin à la Renaissance, Alpha histoire, novembre 2024, 392 pages, 10 euros