Le Serpent majuscule, réédition du premier polar de Pierre Lemaitre

Pierre Lemaitre a écrit le roman noir Le Serpent majuscule en 1985, bien avant de recevoir le prix Goncourt 2013, pour Au revoir là-haut. Ce livre n’avait jamais été édité, et l’écrivain s’est décidé à le livrer au public cette année, en demandant au lecteur l’indulgence qui sied aux œuvres de jeunesse. 

un tueur à gages

Bizarrement, l’entreprise, pour sympathique qu’elle soit, démarre assez mal. La couverture représente une gueule de chien à l’œil vicieux, sur fond de jaune blafard, avec ce titre ambigu Le Serpent majuscule. Cela évoque aussi bien un vieux récit inca, qu’un rêve surréaliste, une équipée dans la jungle, ou le code secret d’une mafia indonésienne. Mais il ne faut pas surtout pas s’arrêter là, car ce serpent improbable est en réalité jubilatoire. 

L’argument tient à ceci : un tueur à gages est chargé d’éliminer proprement, et sans laisser de traces, autant de fois qu’il en reçoit l’ordre, des personnages variés, étudiantes, industriels, retraités et autres. Bref, une histoire toute banale. Mais l’intérêt vient du fait que ce tueur à gages est une veuve qui s’appelle Mathilde, qu’elle a soixante printemps bien sonnés, et un gros derrière de grand-mère qui colle mal avec la belle allure du guerrier. 

A cela s’ajoute que Mathilde exécute scrupuleusement ses contrats, mais que des impondérables viennent parfois mettre des grains de sable dans les rouages habituels. Une fois, c’est un pauvre chien qui fait les frais du massacre, une autre fois, un témoin trop curieux se voit aussitôt retirée l’envie de témoigner. Et puis Mathilde a oublié de changer d’arme à chaque fois, précaution élémentaire qu’un débutant n’oublierait pas…

Rien ne va plus

Alors, tandis que la police piétine joyeusement, ce sont les commanditaires de Mathilde qui commencent à s’énerver. Et qui se demandent si, finalement, le mari de la veuve est bien mort de mort naturelle. Et puis voilà que son chien, la pauvre bête, est retrouvé décapité dans son jardin. Non décidément rien de va plus, et cette fois, il va falloir que Mathilde s’arme pour de bon. 

Tel est ce Serpent majuscule qui s’entortille sous la plume de Pierre Lemaitre dans tous les sens, au point de nous donner parfois le tournis devant l’accumulation des cadavres ; mais quelques portraits bien ciselés viennent à bout de ces errements, et l’on suit volontiers l’auteur jusqu’à la fin. 

Ce qui retient surtout l’attention de ce bouquin léger et amusant, c’est la qualité du ton, l’esprit fin et caustique qui l’accompagne, et la vivacité des dialogues. Pierre Lemaitre, on le sait, a le sens du récit, et ce « Serpent » ondule assez pour nous le confirmer. En outre, il n’est pas besoin d’un long examen  pour comprendre que tout cela n’est rien d’autre qu’une parodie de roman policier, une sorte d’à la manière de, qui rend hommage à un genre littéraire estimable, tout en s’en moquant gentiment. Alors, va pour Mathilde, et ses drôles de pistolets. 

Didier Ters

Pierre Lemaitre, Le Serpent majuscule, Albin Michel, mai 2021, 320 pages, 20,90 eur

Laisser un commentaire