« Politique du western », lecture politique d’un genre

André Bazin disait du western qu’il était « le cinéma américain par excellence », d’une part parce que le moindre western témoigne de la qualité formelle propre au cinéma hollywoodien (même les plus modestes possèdent au minimum la beauté du dépaysement) et, d’autre part, parce que le genre s’inscrit totalement dans l’essence des Etats-Unis. C’est à ce second aspect que s’intéresse l’universitaire Gérard Mairet dans Politique du western. Lui-même amoureux du genre, il met à profit son érudition (il est spécialiste de l’histoire de la démocratie en Occident) pour livrer une lecture politique, et donc philosophique, du western (1).

Que l’on ne se méprenne pas : Mairet n’est pas un universitaire qui justifie péniblement son amour d’un genre populaire par un vocabulaire snob et des théories fumeuses. Il se trouve que le western, et l’auteur le démontre clairement tout au long de ces 170 pages, est un genre totalement philosophique. 

En effet, en racontant la conquête des territoires indiens à l’Ouest, c’est-à-dire la construction et l’achèvement des Etats-Unis après la guerre de Sécession, le western, tout en divertissant par une action trépidante, amène forcément dans l’esprit du public une réflexion quasi rousseauiste sur les concepts d’état de nature, de société, de propriété, d’autoritarisme, d’injustice, de liberté, de démocratie, et sur la dialectique constante entre eux. Mais Mairet, jamais prétentieux, ne prononce ni le mot de dialectique, ni le nom de Rousseau : il nous le fait comprendre en décrivant simplement, avec un régal communicatif, les grands classiques du genre, ceux de Ford, Hawks, Wellman, Boetticher, Daves, Peckinpah ou Eastwood. 

 

Steve McQueen, Yul Brynner, Horst Buchholz, Charles Bronson, Robert Vaughn, Brad Dexter et James Coburn sont les « 7 mercenaires » de John Sturges (1960)

 

Ce faisant, il dégage la richesse de ces œuvres : ainsi, le fameux conflit entre le gros rancher et le petit fermier illustre, mieux qu’un traité philosophique ou un discours politique, la problématique de la « propriété du sol » et de la « légitimité du primo-arrivant » ; le simple fait de voir un Indien sur l’écran nous pousse à nous interroger sur la notion de « bon sauvage » ; la manière de montrer ces Indiens, des premiers westerns racistes à ceux, pétris de mauvaise conscience, des années cinquante, dévoile mieux qu’un cours d’Histoire l’hypocrisie de la société américaine, son refus d’admettre qu’elle s’est construite sur un vol et un génocide ; enfin, le combat entre le shérif isolé et le bandit puissant nous fait comprendre, mieux que la lecture intégrale de la Constitution ou du Code civil, la belle formule de Robert Badinter : « opposer la force de la loi à la loi du plus fort ». 

 

Richard Widmark (colonel James Bowie), John Wayne (Davy Crockett) et une centaine de braves sacrifiés à Fort Alamo dans un combat inégal contre les milliers d’hommes du général mexicain Santa Anna, pour permettre que s’organise l’armée de l’indépendance texane (Alamo, réalisé par John Wayne, 1960)

 

Parce qu’il émane d’un pays fondé sur les Lumières et qui cherche, depuis le XIXe siècle, à accomplir sa « Destinée manifeste », le western, en tant que récit national, est donc automatiquement une réflexion sur les Lumières, sur les concepts fondateurs de Liberté et de Justice, et sur l’usage (bon ou mauvais) qu’on peut en faire au cœur d’un territoire dit « primitif ».

 

Dustin Hoffman est « Little Big Man » dans le film d’Arthur Penn (1971), l’histoire d’un Indien témoin du massacre de Little Big Horn qui sera plus tard adopté par un pasteur blanc après le massacre de toute sa tribu…

 

Vous me direz que toutes ces idées ont été depuis fort longtemps analysées dans des centaines d’ouvrages de cinéma ou d’Histoire. Certes. Mais, d’une part, Mairet ne prétend pas à autre chose que de faire une synthèse didactique à l’usage des étudiants d’aujourd’hui, sachant que ces jeunes, malheureusement, se désintéressent quelque peu du genre ; d’autre part, il a compris que les westerns sont si bien articulés, si bien pensés par leurs créateurs, qu’il suffit de raconter encore et encore leur intrigue pour être de nouveau enchanté, sans même voir une seule image ! 

C’est aussi comme cela, en lisant un conte, en transmettant simplement le plaisir et l’intelligence de son déroulement, qu’on fait réfléchir les jeunes générations à l’Histoire des hommes. 

 

 

Claude Monnier

Gérard Mairet, Politique du western, Presses universitaires de Vincennes, collection « libre cours », 173 pages, avril 2018, 10 euros

 

(1) Même s’il admet leur qualité, Mairet écarte de son étude les westerns italiens qui, selon lui, ne peuvent pas porter, et pour cause, l’essence de l’Amérique.

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