Pontcarral, colonel d’Empire, un film de Jean Delannoy

Il n’est pas sûr que toutes les restaurations effectuées depuis quelque temps par Pathé soient absolument nécessaires. Celle de Zig-Zig, film de László Szabó sorti en 1975 et dans lequel Catherine Deneuve et Bernadette Lafont font surtout assaut de vulgarité, s’imposait-elle, même si Deneuve s’obstine à penser qu’elle a joué là dans un film « poétique » ? En revanche, on appréciera la restauration du film de Jean Delannoy tourné en 1942, Pontcarral, colonel d’Empire. Du cousu-main, comme d’habitude avec Delannoy, et où, en l’occurrence, nous sont offertes deux restaurations pour le prix d’une, puisque, comme le titre le suggère avec la précision/restriction « d’Empire », l’histoire se passe après la chute définitive de Napoléon, donc sous la Restauration. Pontcarral, le héros (incarné par Pierre Blanchar), est ce que l’on appelle un « demi-solde », autrement dit un soldat de l’Empereur mis d’office à la retraite avec le retour au pouvoir des Bourbons et ne touchant donc plus que la moitié de sa solde.

Le roman (paru en 1937 sous le simple titre Pontcarral) d’Albéric Cahuet dont s’inspire le film est dans une large mesure un remake un peu touffu du Colonel Chabert de Balzac. C’est là encore – mais ce schéma a servi de base à d’innombrables films, dont Rambo – l’histoire d’un homme qui ne trouve plus sa place « après la bataille », dans un monde qui a définitivement changé. Cahuet, journaliste-romancier aux idées conservatrices, avait dû mettre un peu de lui dans son personnage.

Il convient toutefois de préciser que si, chez Balzac, Chabert finit par s’effacer volontairement en devenant pensionnaire d’un asile de vieillards, Pontcarral, lui, – et c’est ce qui fait la dynamique du récit – tout en restant fidèle à ses idéaux bonapartistes et en trempant dans un projet de conspiration contre le nouveau régime, n’en est pas moins amené à fréquenter les nobles de son village qui voient en Waterloo non pas une défaite française, mais une renaissance. À l’origine de ce modus vivendi, une fantaisie du destin : ayant arrêté la course folle d’un cheval monté par une jeune aristocrate inexpérimentée, il accepte la proposition qui lui est faite ou plutôt le défi qui lui est lancé : il devient le maître d’équitation de la jeune fille. Et les choses se compliquent encore quand entre en scène la sœur de celle-ci et qu’une intrigue amoureuse se noue… ou se renoue.

Le film, comme on l’a dit, est sorti en 1942, et Delannoy explique – dans un des bonus – qu’il avait porté son choix sur cette histoire parce que Pontcarral le bonapartiste se dressant contre les aristocrates pouvait être aisément vu comme une métaphore de la résistance à l’occupant allemand. Le message n’échappa pas à la censure allemande ; étant donné la période où se situe l’action, elle ne put interdire totalement le film, mais elle exigea la suppression de quelques phrases qui disaient en substance « Make France Great Again ». L’intérêt majeur de Pontcarral est donc à trouver dans son ambiguïté permanente. Ambiguïté des sentiments amoureux, ambiguïté de l’Histoire (même si l’on est farouchement opposé à l’Occupant, on ne saurait ignorer sa présence). Et ambiguïté qui touche à l’absurde quand Charles X, successeur de Louis XVIII, redonne aux « demi-solde » leur statut de soldats à part entière : réintégré dans ses fonctions, Pontcarral a pour mission de partir à la conquête de l’Algérie. Un colonel, ça colonise. Mais le dernier plan du film indique que devenir occupant à son tour n’est peut-être pas la meilleure manière de s’occuper.

FAL

Pontcarral, colonel d’Empire. Un film de Jean Delannoy, avec Pierre Blanchar, Annie Ducaux, Suzy Carrier, Simone Valère, 125 min. Combo DVD-Blu-ray, Pathé,19,99 euros.

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