Sortir du chaos, les crises en Méditerranée et au Moyen-Orient

Les crises actuelles qui agitent le moyen-orient et le pourtour méditerranéen naissent-elles des printemps arabes ? Gilles Kepel pose dans Sortir du chaos une analyse solide des causes et des conséquences

 

Un spécialiste de l’islam et du Moyen-Orient

Arabisant, enseignant à Science po, Gilles Kepel est l’auteur de Jihad (Gallimard, 2000) de Fitna (Gallimard, 2004), de Terreur dans l’Hexagone (Gallimard, 2015) qui se proposait de revenir sur la campagne d’attentats subis par la France à l’instigation de Daesh. Dans ce livre, Kepel décrivait la France comme un terrain fertile pour le jihadisme, suscitant ainsi la polémique. A ce titre, il est depuis plusieurs années en désaccord majeur avec Olivier Roy sur l’analyse des causes du terrorisme en France, Kepel privilégiant une approche religieuse via la « salafisation » des esprits, en partie grâce à l’influence des pays du Golfe. Rappelons enfin que le chercheur a été menacé de mort par Daesh et est sous protection policière. Il est ici de retour avec Sortir du chaos, où il revient sur la crise actuelle née des printemps arabes.

 

Une crise qui vient de loin

Kepel n’hésite pas à faire remonter cette crise aux années 70, marqué par l’échec des nationalismes arabes, la montée des prix du pétrole et la révolution iranienne. L’Islam politique, incarné dans le monde sunnite par les frères musulmans, va être soutenu par l’Occident, alors en pleine guerre froide contre l’URSS et le bloc de l’Est, enlisé en Afghanistan. Les américains, aidés par les saoudiens, vont comme on le sait, activement soutenir les jihadistes sans savoir qu’ils se retourneront ensuite contre eux. Pour continuer d’incarner l’espérance islamiste, les iraniens chiites vont condamner à mort Salman Rushdie en 1989. cependant, grâce à ce livre, on prend conscience à quel point, malgré la rivalité confessionnelle, les islamistes chiites iraniens ont influencé leurs rivaux sunnites, sur fond de montée du jihadisme international.

A l’orée des années 90, on voit l’Algérie s’embraser, le terrorisme s’inviter en France sans compter le premier attentat du World Trade center ou la déstabilisation du Yémen. Les succès spectculaires d’Al Qaïda peinent selon Kepel à masquer l’essentiel: aucun pays arabe ne bascule. Daesh saura s’en souvenir

 

Les printemps débouchent sur la guerre

En 2011 commence la séquence des printemps arabes, que les médias interprètent comme une réplique du printemps des peuples européens de 1848.  La Tunisie, l’Egypte et la Lybie se débarrassent de leurs tyrans, avec le soutien occidental. L’intervention saoudienne sauve le Bahreïn du même sort. Or, sauf dans le cas tunisien, ces révolutions amènent les islamistes au pouvoir, signe d’une « salafisation » des esprits financées durant deux décennies par les pétromonarchies :

 

L’Egypte et la Lybie, ainsi que la Tunisie dans une moindre mesure, ont été exposées à l’ingérence des pétromonarchies de la péninsule arabique qui ont tenté d’influer sur leur évolution grâce à des milliards de subsides. »

 

En Syrie, la guerre civile éclate dans un contexte très complexe. On y voit une guerre du gouvernement de Bachar El Assad et les rebelles, puis entre sunnites et chiites, aussi entre Daesh et le front Al-Nousra, sans compter les interventions turques et russes. Daesh s’y crée un Etat, entre Syrie et Irak (jamais remis de l’intervention américaine de 2003). Cette guerre marque aussi la résurgence du conflit multiséculaire entre sunnites et chiites, amenant à des réorientations géopolitiques et à des rapprochements spectaculaire : ainsi d’Israël et du royaume saoudien.

On referme ce livre en se disant qu’un deuxième suivra car la guerre n’y est pas terminée…

 

Sylvain Bonnet

Gilles Kepel, Sortir du chaos, Gallimard, « esprit du monde », octobre 2018, 528 pages, 22 euros

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