Plaidoyer pour les intellectuels, actualité de l’engagement sartrien

Gérard Noiriel, historien spécialiste de la socio-histoire et des mouvements ouvriers, s’est déjà intéressé aux mouvements intellectuels comme force d’interpellation du monde politique. Il s’est récemment fait remarquer en osant la comparaison Zemmour / Drumont… Sa belle préface rappelle les enjeux des trois conférences de Sartre rassemblées dans Plaidoyer pour les intellectuels.

« En face d’un enfant qui meurt, La Nausée ne fait pas le poids. »

Conscient de son poids dans le débat public, lui qui aura toujours raison contre Raymond Aron quand Raymond Aron avait raison, Jean-Paul Sartre fait la part entre le romancier et l’intellectuel. Si les deux doivent être engagés, le premier l’est par la mise en image de problématiques, le second doit descendre dans l’arène politique et réelle pour apporter ses mots aux cause. « En face d’un enfant qui meurt, La nausée ne fait pas le poids » disait-il dans une interview parue dans Le Mondele 18 avril 1964.

Il y avait le brûlot de Julien Benda, La Trahison des clercs (1927), qui pointait les défaillances du corps pensant de la société en s’installant dans le débat politique et en s’éloignant de la recherche de l’absolu. C’est une charge contre les idéologues. Sartre y répond, d’une certaine manière, Plaidoyer pour les intellectuel, initialement paru en 1972. Devenu l’intellectuel le plus influent de sa génération, Sartre pose l’engagement comme le point vitale de la vie intellectuelle. Pour ainsi dire, il reprend à Benda la démarche de parler à ses pairs et se pose comme son antithèse. Quand Benda priait au retour dans l’intellectualité pure, Sartre demande à mettre les mains dans la matière. A son tour d’être Zola !

« L’intellectuel est quelqu’un qui se mêle de ce qui ne le regarde pas »

Plaidoyer, c’est exhorter. Sortez des tours d’ivoire, crie-t-il à ses contemporains, et engagez-vous dans le temps. Dans les combats contre les dictatures, les famines, pour ses idées. Et même si Sartre a été souvent dans l’erreur concernant ses choix, et que sa prise de conscience est tardive, il théorise l’engagement. Et c’est un apport fondamental dans la pensée du XXe siècle. En tant que philosophe, il se sent obligé de prendre part à l’Histoire. Se coltiner avec le réel, voilà sa grande affaire !

A ne considérer que les reproches qu’on leur adresse, il faut que les intellectuels soient de bien grands coupables.

Ce petit recueil de conférences de Sartre n’a rien perdu de sa vigueur. Et dans un temps qui veut parfois étouffer le discours de ceux qui pensent pour laisser plus de place à celui de ceux qui ne pensent pas. indispensable à tout ceux qui prétendent penser le Monde et la Cité, le Plaidoyer pour les intellectuels peut être dépassé ou discuté, mais il ne peut pas être ignoré. Et malgré une langue philosophique datée et pas forcément si accessible (définissons la praxis…), il faut lire cette parole forte concentrée dans le Plaidoyer pour les intellectuels.

Loïc Di Stefano

Jean-Paul Sartre, Plaidoyer pour les intellectuels, préface de Gérard Noiriel, Gallimard, « folio essais », mai 2020, 160 pages, 6,90 eur

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