Rendez-vous à Tokyo, sept anniversaires de réflexion

26 juillet… une date pas comme les autres pour Teruo, danseur professionnel et Yo, conductrice de taxi. Il s’agit non seulement de l’anniversaire du jeune homme, mais aussi du jour de leur rencontre, du début de leur relation et de leur séparation. Le 26 juillet marque un moment d’éternité durant lequel on s’aime et on se déchire…

Présenté comme la comédie romantique de l’été notamment par le biais d’une bande-annonce un poil trompeuse, Rendez-vous à Tokyo est le premier long-métrage de Daigo Matsui à arriver dans notre contrée. Il aura donc fallu attendre plus de dix ans pour découvrir l’univers de ce cinéaste, grand admirateur de Jim Jarmusch, qui débuta sa carrière en adaptant plusieurs mangas sous forme de live action pour le territoire local. Par conséquent, en raison de ces premiers faits d’armes, on peut comprendre pourquoi les distributeurs ont hésité à les importer. Et on devine aussi leurs intentions quand ils ont décidé de diffuser Rendez-vous à Tokyo en dépit des sorties des blockbusters estivaux.

Il était préférable de profiter du 26 juillet (date clé dans le long-métrage), jour idéal donc pour mettre en avant l’œuvre de Daigo Matsui tout en évitant la concurrence d’un mastodonte le même jour. Par ailleurs, unique film du genre avec un tant soit peu d’intérêt à nous parvenir cet été, Rendez-vous à Tokyo possède a priori, tous les atouts pour fédérer le public. Et si l’on pouvait craindre une bluette digne des pires standards hollywoodiens, Rendez-vous à Tokyo se distingue très rapidement de toute entreprise vulgaire bénéficiant d’un traitement assez malin, voire empli d’une certaine finesse.

Sept ans de réflexion

Avec son principe narratif reposant sur sept anniversaires qui marquent l’évolution à tâtons d’une relation amoureuse, Rendez-vous à Tokyo renvoie bien plus à Billy Wilder et à Sept Ans de réflexion qu’à Jim Jarmusch. Néanmoins, en lieu et place de nous offrir une romance stéréotypée, imprégnée des clichés lacrymaux qui pullulent dans les produits bon marché, Daigo Matsui propose une temporalité à rebours, ouvrant son dispositif sur un état des lieux loin d’être idyllique. La rupture a déjà été consommée et le réalisateur remonte alors à leur rencontre, aux premiers émois puis à la douloureuse séparation, des événements qui ont lieu durant un anniversaire précis de Teruo.

Employer ce procédé mainte fois vu s’avère risqué pour Matsui, tant il est délicat de se l’approprier correctement et d’apporter quelque chose de concret et surtout de nouveau au processus. Pourtant, il fait preuve de subtilité lorsqu’il retranscrit les détails infimes et moins convenus que l’évolution du décor d’une chambre au fil des ans. Certaines répliques savoureuses susurrées par le couple se transforment en non-dits par la force des choses. De fait, les partenaires renoncent même si leur intention était bonne à l’origine. Et dans ces instants Sosuke Ikematsu et Sairi Itô, bien aidés pas la direction de Daigo Matsui, impressionnent par leur justesse d’interprétation. Ainsi, Sairi Itô réussit à insuffler l’énergie galvanisant son personnage tandis que Sosuke Ikematsu inocule ce mélange savant de mélancolie et de doute à Teruo. Voilà pourquoi on est surpris que l’émotion la plus pure ne soit point véhiculée par leurs échanges, mais par le dernier (et véritable tour de force) du metteur en scène.

Souvenirs à venir

Si l’on s’inquiétait à juste titre du dispositif temporel de l’ensemble, trop souvent usité maladroitement à droite et à gauche, on est à l’arrivée plutôt surpris agréablement par le principe astucieux adopté par Daigo Matsui, celui du souvenir à venir, disséminé ici avec élégance. Les protagonistes multiplient les références et anecdotes sans véritable démonstration ostentatoire pour le spectateur. On commence une citation lors d’une conversation où l’on évoque un geste précis sans crier gare… pour en comprendre le sens bien plus tard au fur et à mesure que Daigo Matsui s’enfonce dans le passé. Le réalisateur rappelle (toute proportion gardée) Stanley Kubrick qui décrivait ce qui allait s’ensuivre (ainsi que les contours de sa mise en scène) à travers la voix off dans Barry Lyndon. Et cet artifice astucieux, bien maîtrisé, trouve toute son essence dans l’une des occurrences les plus poignantes du film.

Un homme espère le retour de sa femme, mi-muse mi-Godot, alors que connaissances et voisins s’échinent à le prévenir qu’elle ne viendra sans doute pas. Puis on découvre le sort de son épouse et pourquoi il persiste à patienter. Or, c’est en apposant cette intrigue secondaire que Rendez-vous à Tokyo entame son envol lyrique et devient déchirant. La simple comédie romantique se métamorphose en mélodrame et prend à contrepied toutes les attentes du spectateur. Et si parfois Daigo Matsui force son élan poétique, il n’omet pas en revanche d’en appliquer l’essence sur chaque silence, chaque regard sur un Tokyo fantomatique.

Pourtant, le cinéaste ne cherche jamais à trop en faire avec Rendez-vous à Tokyo et ne commet pas l’erreur de nombreuses tentatives identiques. Car en puisant aussi bien dans l’art local que dans celui de Jim Jarmusch (les deux étant très proches), Daigo Matsui nous plonge avec succès dans un voyage intime au cœur d’une ville tentaculaire et lasse tandis que ceux qui parcourent ses routes jettent un œil furtif derrière eux avec regret, parce qu’ils n’oublieront pas les amours d’antan, en dévorant ou non une dernière part de gâteau.

François Verstraete

Film japonais de Daigo Matsui avec Sosuke Ikematsu, Sairi Itô. Durée 1h55. Sortie le 26 juillet 2023

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