Le grand affichiste Michel Landi ou la magie du cinéma

« Une affiche, ça doit être un coup de poing ! »

Bullitt, Il était une fois dans l’Ouest, Duel, Don Giovanni, Fog, Phantasm, Pulsions, Blow Out, Canicule, Furyo, Danton, Jamais plus jamais, Aliens, Predator… A l’énoncé de ses titres de films, nous reviennent à l’esprit des affiches ensorcelantes, des affiches qui ont façonné notre imaginaire. Elles ont participé, autant que les projections, à notre amour pour le cinéma. L’homme derrière toutes ces images se nomme Michel Landi. A une époque où l’affiche de cinéma ne fait plus rêver, et où le beau métier d’affichiste s’est tristement perdu, il nous semblait intéressant de rencontrer « le dernier des Mohicans », toujours aux aguets. 

 

Entretien

Boojum : La première chose qui frappe dans vos affiches de cinéma, c’est la magie qui s’en dégage. Mais avant d’évoquer votre art, je voulais remonter un peu à votre enfance. Est-ce que, enfant, vous avez été marqué par des affiches de cinéma ? Est-ce une vocation qui vient de loin ou est-ce par hasard que vous êtes arrivé dans ce domaine ?

Michel Landi : Non, ce n’est pas par hasard, c’est une vocation si je puis dire, et qui vient de loin : j’ai été marqué étant tout jeune. J’avais une grand-mère qui était marchande de chaussures dans un village de Seine et Marne et lorsque venait un cirque, il distribuait toujours en magasin des affichettes. Et c’est ça qui me fascinait, parce que les affiches de cirque, c’est très « rentre-dedans » : du rouge, du jaune, etc. Aujourd’hui, si je les revoyais, elles ne me paraîtraient pas toutes bonnes ! C’était un peu facile comme style mais à l’époque, pour un enfant de six, sept ans, c’était frappant. Plus tard, j’ai rendu hommage à ces affiches en faisant celle du Plus grand cirque du monde, avec John Wayne. Là, je me suis régalé ! Et puis surtout, il y a toute cette période de la guerre avec des affiches plus ou moins tristes. Quand, à la Libération, tous les films américains, tous les films anglais aussi, comme Les Quatre plumes blanches, Le Livre de la jungle, sont arrivés, c’était formidable… Comme dans toutes les petites villes à l’époque, il y avait un cinéma, avec deux affiches, l’affiche de la semaine et l’affiche du film à venir. Moi, j’étais fasciné par ça : les affiches 120 X 160. Donc, il y a bien eu une fascination pour le cinéma.

Le premier film que j’ai vu, qui m’a marqué du moins, c’était Blanche Neige, à sa sortie en 1937. J’avais cinq ans. Je me souviens de la course de Blanche Neige dans la forêt, avec les arbres qui se penchent. Et toutes les marques faisaient référence à Blanche Neige : il y avait Cadum qui faisait des présentoirs pour savon en forme de maison des nains… Déjà le merchandising ! Et puis pendant la guerre, à Toulouse, c’était les affiches des films avec Tino Rossi, extraordinaires pour un enfant, comme Naples au baiser de feu ! J’avais aussi été impressionné par Pontcarral, colonel d’empire avec Pierre Blanchard, l’histoire d’un ancien officier de Napoléon après la Restauration. A l’époque, dans les cinémas, il y avait souvent des figurants en costumes d’époque, liés au film ! Je me souviens encore des tuniques rouges de la police montée canadienne, pour un western Paramount dont j’ai oublié le nom.

 

Pensez-vous que le cinéma d’aujourd’hui offre aux jeunes cette magie-là ?

Il y a d’autres magies actuellement, les enfants d’aujourd’hui sont sans doute marqués par autre chose, mais à l’époque cette magie du cinéma était pour tous les publics, pas seulement les enfants. Il faut dire aussi que c’était un peu « restreint », il y avait moins d’images, il n’y avait presque que le cinéma pour rêver. Aujourd’hui, un jeune a tout à sa disposition, pour se divertir et s’évader. Il y a trop peut-être…

 

 

Comment êtes-vous devenu affichiste de cinéma ?

Dans ma famille maternelle, tout le monde dessinait extrêmement bien, et comme je n’étais pas très courageux à l’école, sauf en dessin et en maths, je voulais faire une école de dessin. C’était juste à la Libération. Je suis entré à l’Académie des Arts Modernes, où je suis resté un an, puis j’ai commencé à gagner ma vie dans un atelier de panneau de cinéma, des panneaux qui, à l’époque, faisait cinq, six mètres de haut. Et les types dessinaient dessus, au crayon, sans recul, parfois dans des petits couloirs ! C’était dur. Parallèlement, pour améliorer ma technique de dessin, maîtriser la perspective, capter le mouvement à partir de modèles vivants, j’ai pris des cours du soir aux Arts Appliqués. J’ai donc appris mon métier en faisant des panneaux pour les westerns. On s’inspirait des photos du film et des affiches originales, on travaillait souvent dans l’urgence, le week-end, la nuit, en fonction des films qui se succédaient rapidement à l’affiche : certains étaient virés faute d’entrées, d’autres les remplaçaient aussitôt. Et cela sur tout un circuit de salles dans Paris, où il fallait poser ces immenses panneaux. Quand on fait les panneaux de cinéma, on voit arriver les affiches, mais le plus intéressant, c’est quand-même de faire l’affiche ! Un monde tout à fait différent.

J’ai commencé par dessiner des affiches pour moi, que j’ai réunies dans un dossier pour montrer ce que je savais faire et, grâce à un ami de mon patron qui était dans le milieu de la distribution, j’ai été présenté aux boîtes américaines : Paramount, la Métro, Warner… Là j’ai commencé par des affichettes pour les vitrines de province, pas encore les affiches 120 X 160. Ces affichettes présentaient une image différente de la grande, je me souviens de ce que j’avais fait pour La Prisonnière du désert par exemple. A ce propos, une affiche différait souvent entre Paris et la Province : celles pour la Province étaient plus simples, sans suggestion ou abstraction, parce que le distributeur considérait le public de province comme moins « élevé au point de vue intellectuel » ! C’était comme ça à l’époque…  Les distributeurs ont pris confiance dans mon travail et m’ont demandé de faire une affiche qui frappe, quatre mètres par trois, pour un film événement, en l’occurrence un Michel Audiard, Une Veuve en or, avec Michèle Mercier. On dit d’ailleurs que si le film ne marche pas, c’est la faute à l’affiche ! Et ça a marché, mon travail pour Une Veuve en or a marqué les gens : une femme sexy, avec un immense chapeau, sur une tombe, des roses écrasées à ses pieds. C’est là que j’ai commencé à avoir des coups de fil. Même chose après La Fiancée du pirate de Nelly Kaplan, même si j’ai eu des problèmes avec la censure, à cause de la nudité. Ce film m’a lancé sur d’autres films importants au cours des années soixante-dix.

 

 

 

C’est le début de votre âge d’or : les années soixante-dix/quatre-vingt. Ce qui vous distingue, par rapport à vos confrères d’alors et encore plus par rapport à ceux d’aujourd’hui, c’est le côté percutant, violent, des affiches, d’un dynamisme extrême.

C’est même mon problème ! Pour moi, c’est évident : une affiche ne doit pas pas faire dans le détail, il faut que ça soit percutant. Si vous commencez à vous demander ce qu’il y a dans les coins, c’est que ce n’est pas une bonne affiche ! Elle doit se voir dans le couloir du métro, où les gens marchent vite et où il y a déjà des centaines d’affiches publicitaires : si on ne voit pas l’affiche de cinéma, c’est qu’elle n’est pas bonne. Il y a un style « affiche de cinéma », les gens doivent être accrochés, même sans s’en rendre compte. Chacun avait sa spécialité, comme le western pour mon collègue et ami Jean Mascii. Et chaque genre doit faire référence à ce qui a marché précédemment, tout en se démarquant. Notre style dépend souvent de notre physique. Moi, je n’ai pas une bonne vue, je n’aime pas faire dans les petits détails, j’ai toujours travaillé très largement à la brosse, pour donner une impression de mouvement.

 

Comment expliquez-vous le fait qu’aujourd’hui, à part exception, les affiches sont aussi peu intéressantes, voire mauvaises ?  

La première explication, c’est qu’elles sont faites par des agences de pub, qui sont peut-être bonnes pour vendre un produit commercial comme la mayonnaise, mais qui n’y connaissent rien au spectacle, je veux dire par là le cinéma, le théâtre, les festivals, bref la représentation. Le spectacle, vous ne l’achetez pas de la même manière qu’un pot de confiture. D’ailleurs, pour ma part, je n’ai jamais fait d’affiches publicitaires, je ne sais pas faire. La deuxième explication est que ces agences utilisent souvent la même méthode, que j’ai vu de mes yeux, à partir des années quatre-vingt-dix : dix personnes se mettent autour d’une table et se sentent obligées d’émettre une opinion sur le projet d’affiche. Ça ne veut rien dire, ce n’est pas comme ça qu’on atteint l’originalité. Pour cela, il faut une sensibilité et une seule. La troisième explication est qu’aujourd’hui, le travail est presque programmé par ordinateur : on met rapidement la tête de l’acteur, la tête de l’actrice, une petite scène en bas, puis le titre… C’est pourquoi la plupart des affiches se ressemblent et sont insipides.

 

 

Vous-même, avez-vous des ficelles pour attirer l’œil du public ?

Non, c’est une inspiration globale. On me donne les éléments d’un film, des photos, et je prends ce qui m’attire. Tout ce que je cherche à faire, c’est une affiche qui me donnerait envie, à moi, d’aller voir le film, ou le spectacle, car j’ai travaillé aussi pour les spectacles de Robert Hossein. L’idéal pour moi, c’est Fog de Carpenter : je n’avais pas vu le film à l’époque, on m’a simplement dit que c’était un film d’horreur, avec une ambiance de brouillard, dans un port. J’ai cherché des idées et, en feuilletant une revue, je tombe sur une publicité pour une marque de shampoing, avec une femme la tête à l’envers, la chevelure s’étalant vers le bas. Fog est un film d’horreur ? Alors j’ai eu l’idée de faire l’inverse : les cheveux qui se dressent sur la tête !

 

C’est une de vos rares affiches où vous n’utilisez pas le noir mais le gris clair, elle est à la fois douce et très inquiétante…

Oui, exactement comme le brouillard : c’est doux et inquiétant. Il fallait communiquer cette idée aux gens.

 

Dans le film, on est même un peu déçus de ne pas voir cette femme-là !

Ça m’est souvent arrivé ça, de faire des affiches, et d’avoir des « déçus » après le film (Rires) !…

 

 

Beaucoup de cinéphiles de ma génération, qui étaient adolescents à l’époque, sont tombés amoureux de vos affiches, sans connaître votre nom : c’était l’époque où vous vous consacriez beaucoup au fantastique ou à des films apparentés au fantastique, comme le fameux duo Pulsions/Blow Out, Wolfen, Halloween 2, Phantasm, Réincarnation, Cujo, Le Retour des morts-vivants, Predator, Aliens… Il y a quand-même chez vous un talent particulier pour le fantastique, l’épouvante, le thriller.

Le talent peut-être, mais c’est surtout que lorsque vous faites une affiche qui marche, après on vous appelle pour continuer ! J’avoue cependant que ce type d’affiches violentes, c’est plus fort que moi, puisque j’ai fait toute une série de polars pour la collection J’ai lu. J’ai dû être violent dans une vie antérieure (Rires) !

 

Vos affiches faisaient même plutôt peur : quand on voit par exemple celle de Phantasm, avec la femme qui hurle dans le reflet du couteau, ou celle de Blow Out, où on comprend que la femme se fait étrangler, on est mal à l’aise !

Tout à fait, c’est fait pour ça ! Le plus drôle est que je ne supporte pas les films d’horreur ! Concernant Blow Out, qui n’était pas tout à fait un film d’horreur et que j’ai vu, j’avais été impressionné par la scène de meurtre dans les toilettes, avec les rouleaux de papier. C’était le style De Palma. J’ai donc fait exprès d’en faire une sorte de « suite » à l’affiche de Pulsions, sorti un an plus tôt : dans Pulsions, le tueur observe la femme sexy depuis le fond, il se prépare ; dans Blow Out, il « finit le travail » en quelque sorte !

 

 

Une autre caractéristique de votre style : la métaphore. Si l’on prend votre affiche de Duel, par exemple, le camion avale la voiture et hurle.

Ah, Duel ! C’est vraiment une affiche que j’ai adoré faire. La Paramount m’a appelé et m’a dit : « Voilà, on a un film d’un jeune réalisateur de télé, mais il est tellement bon qu’on va peut-être le sortir en salles. Viens le voir. » Je l’ai vu tout seul dans une grande salle, je l’ai trouvé formidable. Je suis rentré et j’ai tout de suite fait l’affiche, j’avais dans la tête la gueule du camion. J’avais même un autre projet avec les phares du camion dans un tunnel noir, c’était les yeux de la bête ! J’étais sous le coup du film : une bête rugissante…

 

Autre affiche sur la bestialité : Aliens.

Il y avait l’affiche du premier Alien, avec l’œuf, que je n’avais pas faite mais qui me plaisait beaucoup. La production ne voulait pas la même chose. Alors, tout en respectant l’ambiance de ce nouveau film, j’ai voulu rendre hommage à Giger, le peintre suisse, l’un des concepteurs du film original. Mais c’était moins fort que du vrai Giger !

 

Le noir domine dans vos œuvres.

Oui, mais le noir, c’est le thriller, l’épouvante. On ne peut pas se passer des symboles connus. Les symboles, c’est très important. 

 

La peur que dégage vos affiches ne vient pas que des films de genre. Quand j’étais enfant, votre affiche pour Danton avec Depardieu me mettait mal à l’aise.

Oui, car c’est le personnage, la Révolution, la Terreur… Sur fond blanc et marron, Depardieu éructe, ses cheveux sont des lignes de force qui partent de sa tête… C’est un mouvement, c’est comme de la danse. Même chose pour mon affiche de Don Giovanni de Losey, c’est un spectacle avec des fantômes. 

 

Vos affiches ne sont jamais académiques, elles sont même souvent « politiquement incorrectes ».

Mon collègue Hervé Morvan disait : « une affiche, c’est un roulement de tambour dans la rue ». Moi, je dis qu’une affiche, ça doit être un coup de poing ! Si on me dit que sur une affiche, il faut regarder tel ou tel détail, je dis non : c’est l’affiche qui vous regarde et vous donne quelque chose. A la limite, elle vous agresse. Et celles d’aujourd’hui n’agressent pas beaucoup… Ils n’osent pas. Les producteurs ne prennent plus de risques car c’est de la télé, ce n’est plus du cinéma : d’ailleurs les films sont produits par les chaines de télé, il n’y a plus de producteur qui se « mouille ». Autrefois, les producteurs étaient un peu comme des artistes, c’était des personnalités intéressantes, qui voyaient le film comme un bouquet à offrir : à partir d’un sujet fort, ils composaient le bouquet en prenant tel réalisateur, tels acteurs… C’était aussi un coup de dés : ils pouvaient amasser une fortune ou bien se planter. Aujourd’hui, la télé produit pour alimenter ses grilles de programmes, elle est gagnante à tous les coups, pas de risques. Donc, pourquoi s’embêter à faire de belles affiches ? 

 

Que ce soit pour le producteur ou pour vous, il y avait encore un côté artisanal. 

Exactement. On peut même dire que c’était de l’artistique. 

 

 

Propos recueillis par Claude Monnier

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