Menus propos sur la rentrée scolaire 2023

– Pour que l’École dure, amis, donnez ! (Francis Blanche)

C’est la rentrée littéraire, mais c’est aussi et d’abord la rentrée scolaire, ce qui nous vaut un certain nombre d’ouvrages sur la crise de l’enseignement français, chaque année un peu plus malade, comme le montrent les résultats des élèves dans les évaluations internationales. Mon Dieu, comment sommes-nous tombés si bas ? Et si les ouvrages en question ne manquent pas de décrire les symptômes du mal, leur tâche se fait plus difficile quand il s’agit de prescrire des remèdes. L’augmentation de salaire souvent réclamée en premier lieu par les enseignants ne saurait évidemment tout résoudre.

On retiendra ici deux de ces ouvrages, de deux auteurs qui ont déjà abondamment produit : L’École à deux vitesses de Jean-Paul Brighelli et L’Ex-Plus Beau Métier du monde de William Lafleur, alias le blogueur MonsieurLeProf.

Comme dans tout pamphlet, il y a évidemment à boire et à manger dans ces essais, et les scandales qu’on y dénonce ne sont pas toujours aussi scandaleux qu’on nous l’affirme. Il n’est pas aberrant par exemple que les parents, même s’ils sont bien souvent à côté de la plaque, veuillent savoir à quel régime sont soumis leurs enfants – on ne dépose pas son enfant dans une école comme on dépose sa voiture chez un garagiste. De la même manière, si l’on part du principe julesferryen suivant lequel l’une des fonctions de l’École est de former des citoyens et de contribuer à forger une unité nationale, le fait de nommer de jeunes professeurs dans des lieux qui ne sont pas forcément ceux de leur naissance n’est pas a priori une hérésie. Que les Corses veuillent retourner en Corse et les Bretons en Bretagne, cela peut se comprendre, mais un « détour » de deux ou trois ans ailleurs leur permettra de se rendre compte qu’on ne pense pas, qu’on ne parle pas et qu’on ne vit pas partout exactement de la même façon. Et l’on nous permettra d’être quelque peu dubitatif quand nous voyons Brighelli déclarer dans une interview que l’un des moyens d’encourager le sentiment national serait la production de films de propagande à la chinoise, fondés, qui pis est, sur un épisode peut-être apocryphe de la Révolution française, et situé dans une région – la Vendée – où celle-ci n’a pas écrit ses plus belles pages.

Mais Brighelli, qui n’oublie pas que l’École et d’abord faite pour les élèves, a incontestablement raison quand il dénonce l’École « à deux vitesses ». Qu’il y ait, à l’issue du parcours, des premiers et des derniers, cela est sans doute inévitable, et la vie, qu’on le veuille ou non, est faite de classements (v. la frénésie actuelle des « évaluations » sur Internet), mais la question n’est pas là. Le drame, c’est que, comme le disait déjà – entre les lignes – La Fontaine dans Le Lièvre et la Tortue, les résultats de la course sont, sinon proclamés, du moins déterminés avant même que la course ne commence. Quarante ans après, j’en veux encore beaucoup à ces professeurs allemands qui m’avaient pris pour un abominable réac parce que, lorsqu’ils m’avaient demandé si « j’ajustais » mes cours en tenant compte du fait que j’enseignais dans une zone défavorisée, j’avais répondu que je faisais les cours que j’aurais faits dans n’importe quel autre établissement. Je dirai même plus, mon cher Dupond : des élèves dont le français n’était pas la langue maternelle ont moins de difficultés à comprendre certaines subtilités du latin que des Gaulois de souche ; ils ne s’étonnent pas qu’on puisse exprimer la même chose de deux façons différentes.

Or donc, oui, Brighelli a raison de dénoncer cet enseignement au rabais distribué par nombre d’enseignants, de droite et de gauche, avec l’idée condescendante qu’offrir à leurs élèves plus et mieux, ce serait leur présenter un horizon inaccessible. Principe d’autant plus pervers qu’il finit par produire sa propre justification. L’élève propulsé dans une hypokhâgne après avoir obtenu de brillants résultats au lycée sans avoir fichu grand-chose, autrement dit sans avoir appris à travailler, aura évidemment beaucoup de mal à suivre le rythme nouveau qui lui est imposé. (1)

La faute à qui ? la faute à quoi ? Il est vain d’aller chercher là-derrière quelque volonté satanique, puisque tout part, dans une large mesure, d’un bon sentiment, mais oserons-nous dire ici notre agacement quand nous entendons répéter sans arrêt que les professeurs manquent de formation ? Bien sûr, il faut avoir reçu un certain nombre de bases, dans quelque domaine que ce soit, pour posséder une compétence, mais à partir d’un certain moment, il faut aussi savoir faire du vélo sans les stabilisateurs. Bref, tout professeur de Lettres doit être capable de faire un cours sur Racine même si lui-même n’a jamais eu Racine au programme. Forme-toi, le ciel te formera !

Le livre de William Lafleur est à cet égard une illustration de cette « langueur monotone » qui semble frapper une grande partie du corps enseignant. À côté de certains développements théoriques et de tableaux statistiques, Lafleur reproduit un grand nombre de témoignages d’enseignants insatisfaits. Et souvent insatisfaits à juste titre. Oui, il est bouffon de prétendre qu’on peut enseigner une langue vivante à des élèves à raison de deux heures par semaine. Oui, cette enseignante qui travaille sur deux établissements et à qui l’on flanque dans la même matinée des heures dans l’un et dans l’autre a raison de pester contre l’inhumanité imbécile du principal qui refuse de modifier son emploi du temps. Mais va-t-on déduire de la crétinerie d’un individu que c’est toute l’institution qui est à refaire ?

Ce qui frappe le plus dans un grand nombre de témoignages recueillis par Lafleur, c’est l’étonnante résignation qui s’y exprime. Il y a, certes, des obstacles insurmontables et des cas où l’institution permet, pour ne pas dire encourage, la bêtise d’un individu. Mais enfin, quand on juge, en son âme et conscience, que certaines consignes des programmes officiels sont absurdes, voire nocives, est-on vraiment tenu de les appliquer à la lettre ? Jusqu’à preuve du contraire le professeur est encore tout seul avec ses élèves entre les quatre murs de sa classe, et Big Brother n’a pas encore installé des caméras pour surveiller chacun de ses propos. Mais le programme… ! Mais l’inspecteur… ! Il existe, bien sûr, des inspecteurs bornés et désespérants, mais tous ne sont pas dupes du discours qu’ils sont censés défendre. Et il n’est pas impossible d’ajouter au programme des marges aussi importantes, sinon plus, que le centre de la page.

L’École est évidemment un domaine si vaste qu’on a tendance à vouloir l’aborder en soi et pour soi, mais les questions qui se posent à son sujet sont probablement beaucoup plus vastes encore. Si l’on veut par exemple allonger l’année scolaire jusqu’au mois de juillet, il faudrait d’abord faire de la France autre chose qu’un pays considérant l’été comme une période d’hibernation obligatoire et le travail comme une malédiction.

FAL

Jean-Paul Brighelli, L’École à deux vitesses. L’Archipel, août 2023, 260 pages, 19 euros

William Lafleur, L’Ex-Plus Beau Métier du monde, Flammarion, août 2032, 448 pages, 22 euros

(1) On comprend bien pourquoi Brighelli propose un retour aux classes de niveau comme remède à la mélancolie, mais les études montrent que ce remède est pire que le mal. Différents niveaux permettraient à chaque élève de carburer à un rythme qui lui convient pour, une fois l’élan acquis, emprunter certaines passerelles pour passer à une vitesse supérieure, mais l’élève placé dans le groupe C va instinctivement penser que, comme tous ses camarades du groupe C, il est fait pour rester dans ce groupe C ad vitam aeternam…

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