Reporter criminel, la mémoire des crimes

Quand le maître du roman noir se fait journaliste

Depuis une trentaine d’années, James Ellroy, grâce à des romans comme Lune sanglante, Le Dalhia noir, Le Grand nulle part ou American Tabloïd, est devenu le grand manitou du polar, celui dont on attend tout lorsqu’il sort un nouveau roman (le dernier, Perfidia, fut d’ailleurs un délice). A l’occasion, il se fait aussi chroniqueur ou journaliste pour des grands journaux américains. Son sujet ? Le crime, bien sûr, car il n’y a que ça qui l’intéresse (avec les femmes). Reporter criminel reprend deux récits publiés dans Vanity fair où Ellroy raconte deux enquêtes criminelles.

 

Pour les femmes assassinées

La première raconte l’histoire de deux femmes tuées le 28 août 1963, jour du célèbre « I have a dream » de Martin Luther King, à coup de couteau dans leur appartement de Manhattan. Elles s’appelaient Janice Wylie et Emily Hoffert. L’une était belle, l’autre non. Les flics passent l’appartement au peigne fin, jaugent les cadavres :

 

Emily portait une jupe verte. Les vêtements couvrant son torse étaient trempés de sang. Sa tête et son cou présentaient des traînées sanglantes. Couchée sur le flanc, elle faisait face à Janice. »

 

Alors qui est le coupable ? Et pour quel mobile ? S’agit-il d’un maniaque qui voulait jouer avec elles ? Les flics bâclent et dans la grande tradition policière américaine, accusent après un interrogatoire très musclé un noir, George Withmore. Sauf que ce n’était pas lui mais un psychopathe blanc, Ricky Nobles. Le cas de George Withmore a motivé l’arrêt Miranda de la cour suprême sur les interrogatoires de suspects.

 

Sal le maudit

Puis Ellroy se penche sur l’assassinat de Sal Mineo, acteur rendu célèbre par La Fureur de vivre de Nicholas Ray (on peut le voir aussi dans Exodus de Preminger et Les Cheyennes de John Ford) et aussi parce qu’il fut l’une des premières stars à divulguer son homosexualité. Ellroy a déjà utilisé Mineo comme personnage secondaire de sa trilogie Underworld USA.

 

Sal Mineo était un gros consommateur de cocaïne et de marijuana. Il draguait au Lilian’s et au Hub bar. Il fréquentait Zarbiwood Ouest. Il se rendait au Garden district et au Bagel. »

 

Les enquêteurs prennent connaissance de la sexualité débridée de Mineo et recherchent donc dans son cercle de connaissances, d’amis, de partenaires, des suspects. Cela ne donne rien. Puis, par l’accumulation d’indices, ils trouveront le coupable, un jeune Noir nommé Lionel Williams. Sal Mineo a été tué par hasard, par le dérapage d’un homme qui voulait voler quelques dollars…

 

Célébrons Ellroy

 

Avec Reporter Criminel, on retrouve le sens de la phrase courte d’Ellroy, son goût de l’énumération, sa jubilation à utiliser l’argot. On a aussi de nouvelles descriptions d’une Amérique malade de son racisme anti-noirs, donné par un homme souvent classé abusivement à l’extrême-droite. Une preuve de plus de son talent et vivement la suite de Perfidia !

 

Sylvain Bonnet

James Ellroy, Reporter criminel, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Paul Gratias, Rivages, octobre 2018, 205 pages, 13,50 euros

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