Trois Contes de Jean-Jacques Rousseau

Il est toujours précieux de découvrir la face cachée d’un illustre. C’est ce que permet Nathalie Ferrand en exhumant des tiroir bibliothécaires trois petits récits surprenant du grand Jean-Jacques Rousseau. On connaissait son œuvre philosophique et romanesque, voici ces Trois contes qui vont compléter ce que l’on connait de son talent.

Une diversité d’histoire et de forme 

Le recueil s’ouvre sur La Reine Fantasque. Ce conte prend pour décor le royaume du roi Phénix, monarque aimant et soucieux de son peuple. « Mais cela commence comme un conte de fée » rétorque le public au conteur. Cette réflexion en apparence innocente révèle dès l’intrigue le double jeu de ce récit où la grossesse d’une reine capricieuse et la traditionnelle image de « la bonne fée » dissimulent sous ses charmes et enchantements une critique politique acérée. Dans un tel cadre les lecteurs sont en droit de se demander si ce couple royal finira bel et bien heureux avec beaucoup d’enfants. 

Le recueil se poursuit sur Les Amours de milord Edouard. Ce récit nous permet d’explorer les aventures amoureuses du personnage issu de La Nouvelle Héloïse. Le romanesque est ainsi de mise pour le lord londonien alors piégé à Rome dans un double dilemme. Celui du choix entre deux amours impossibles car ne pouvant impunément être consumés, et celui bien plus périlleux entre la quête du bonheur et celle de la vertu. Mais ces deux quêtes ne peuvent-elles se compléter ? Le secret de l’une serait-il la condition de l’autre ? Telles sont alors les questions que nous pose cet homme partagé entre une marquise adultère et une femme de plaisir en repentir. 

Enfin le recueil ce clos sur les surprenantes Lettre à Sarah. Ces dernières ont pour sujet une situation d’apparence cocasse : un homme d’une cinquantaine d’année follement épris d’une jeune femme de trente ans sa cadette.  Pourtant le sujet est ici abordé non pas à la manière d’une farce ou d’un marivaudage mais est placé sous le signe du lyrisme et du tragique. La correspondance s’ouvre par ailleurs sur cette citation d’Horace « Ni le crédule espoir d’un amour mutuel ». Le ton est donné. On ne peut alors tout à fait rester insensible à cet homme dont le cœur fait rougir les joues mais dont l’esprit le rappel au  gris de ses cheveux … 

Une infinité de réponse à une même question 

Au sein de ce recueil nous sommes amenés à découvrir Rousseau sous une nouvelles facette celle d’un « philosophe au pays des chimères » tel que le nome Nathalie Ferrand dans sa préface. En effet bien que son talent de romancier soit familier du public de par son célèbre roman la nouvelle Héloïse, nous avons ici l’occasion de l’explorer plus largement à travers une vaste palette de style et d’histoire. Car ces trois contes retranscrivent l’évolution d’une plume sur une période de près de 10 ans (de 1754 pour “la Reine Fantasque” à 1762 pour” lettre à Sarah “) ce qui permet au lecteur de profiter d’un regard évoluant lui aussi sur les sujets abordés et la manière de les exprimer. Ainsi l’auteur renoue par exemple avec la tradition du conte en insérant dans celui de “La reine Fantasque” un conteur, Jalamir , qui transmet oralement le récit à son public, le druide. Toute foi l’insertion de ces différentes strates fictionnelle permet à l’auteur de jouer avec la frontière du quatrième mur. Il alimentant en effet un débat entre les deux personnages portant sur la question du rôle du récit, de l’auteur et de son rapport avec les lecteurs.  

Il demeure néanmoins un thème commun aux trois contes. Celui de la dualité entre la passion et la raison, thème cher aux esprits des Lumières. Mais ces trois étonnants récits nous offrent des perceptives de réponses intrigantes et laissent se dessiner un mariage tout aussi surprenant entre ces deux notions que celui entre le bon roi Phénix et la reine Fantasque « folle par la tête, sage par le cœur ».  Trois contes comme autant de petits moments délicieux.

Hécate Wotton

Jean-Jacques Rousseau, Trois contes, préface et notes de Nathalie Ferrand, Rivages poche, février 2021, 112 pages, 7,50 €

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