Pierres anagogiques, la passion de Roger Caillois

En tant que lecteur admiratif, depuis toujours, du Caillois amoureux des pierres et que moi-même devenu collectionneur de pierres, en tant qu’auteur du recueil poétique Il n’est pas vrai que les pierres soient mortes, je ne pouvais qu’être captivé par ce nouveau livre qui nous offre une somme que notre auteur n’a pu achever avant sa fin, accompagnée ici de pas moins de 150 magnifiques photographies de pierres, surtout des agates.

Roger Caillois a vécu parmi ses pierres : « Depuis que je connais leur existence, écrit-il, je n’ai pu résister à en acquérir davantage. L’appartement en est parsemé. Il est peu de moments où je n’arrête pas sur eux mon regard ». Ainsi a-t-il retrouvé à sa manière cette présence permanente dont, petit enfant, nous avons un impératif besoin…  

Nous devons la conception de ce beau livre relié et cartonné, confectionné selon les règles de l’art, à François Farges, grand spécialiste en minéralogie. Il a retrouvé de nombreux manuscrits inédits de Caillois, en 2023, à la médiathèque Valery-Larbaud de Vichy. « Malgré le grand désordre de ces documents, écrit François Farge dans sa préface, il a été possible de retrouver, classer et recenser les origines littéraires de chacun de ces dossiers ». Un bon tiers des textes ici publiés sont inédits.

Le lecteur est d’abord capté par la beauté des pierres, à chaque page une nouvelle surprise, une nouvelle féérie. Les compositions, les couleurs ont de quoi désespérer n’importe quel peintre, impossible de rivaliser ! D’où ma conclusion :  

Conjuguée au hasard, la nature est la plus grande artiste, il lui suffit de quelques millénaires…

Il faut s’éloigner de cette fascination première pour prêter attention aux textes de Caillois qui font pendant à chacune des pierres. Il décrit sa rencontre avec l’agate, sa composition, son origine. Parfois, souvent, celle-ci éveille son imagination : il devine un oisillon encore captif, un fantôme flottant au-dessus d’une couche de glace éventrée, il découvre une baignoire de marbre pour une reine ou une courtisane, un univers désertique, une larve complète au visage maquillé, et pourtant : « Je ne m’interroge pas si naïvement qu’il paraît sur les simulacres des pierres. Les images sont feintes, mais les questions qu’elles font naître entraînent des spéculations qu’aucune autre démarche de l’esprit n’eût provoquées »

Le titre, Pierres anagogiques, rend bien compte de la passion débordante de Caillois pour les minéraux, une passion que Caillois qualifia d’anagogique : chercha-t-il dans la beauté des agates un sens spirituel, voire mystique ?

Voilà qui m’amène à penser : Et s’il ne restait rien, nous resterait les pierres

Mathias Lair

Roger Caillois, Pierres anagogique, Gallimard/École des Arts Joailliers, novembre 2025, 304 pages, 49 euros

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