Le siège de Leningrad, un drame à redécouvrir

Chercheuse à l’EHESS, Sarah Gruszka est une spécialiste de l’URSS stalinienne et a consacré sa thèse aux journaux intimes tenus par les habitants de Leningrad durant la seconde guerre mondiale. Elle en a tiré un livre, préfacé par Nicolas Werth (LE spécialiste français de l’histoire de l’URSS), sorti chez Tallandier au printemps 2024.

Un siège méconnu

L’historiographie française et occidentale a souvent méconnu l’histoire de la seconde guerre mondiale à l’est et a longtemps été obnubilée par la bataille de Stalingrad. C’est oublier que la ville de Leningrad, ex et futur Saint-Pétersbourg, a été assiégée par la Wehrmacht de septembre 1941 à janvier 1944. Si les allemands n’ont jamais réussi à prendre la ville, l’encerclement a réduit l’approvisionnement en vivres. L’hiver 1941-1942 voit ainsi la famine régner dans l’ancienne capitale impériale, décimant les habitants (on compte au moins 600 000 morts). Les journaux étudiés par Sarah Gruszka peignent la détresse des habitants au quotidien, obsédés par le ravitaillement. Cette histoire fut bien sûr occultée par la propagande, magnifiant la résistance des soldats et de la population… Inutile de dire (mais on va le dire quand même) qu’Hitler ne se préoccupait même pas du ravitaillement de Leningrad si la ville avait été prise…

Une mémoire instrumentalisée ?

L’historienne montre aussi, dans les dernières pages de son ouvrage, combien ce siège a été tour à tour oublié puis instrumentalisé. On cache aux journalistes, tel Alexandre Werth, la réalité des souffrances de la population mais cela continue après la guerre. Le dégel de Khrouchtchev permet une certaine libération de la parole derrière le récit héroïque de la grande guerre patriotique et cela s’accentue avec la Perestroïka et la chute de l’URSS. L’arrivée au pouvoir de Poutine, descendant d’une famille ayant vécu le siège de la ville, est par contre un retour en arrière. Le paradoxe est que cette mémoire du siège s’est diffusée dans la société Pétersbourgeoise et russe aussi…

En tout cas, ce livre doit être lu de tout curieux de l’histoire de la seconde guerre mondiale.

Sylvain Bonnet

Sarah Gruszka, Le siège de Leningrad septembre 1941-janvier 1944, préface de Nicolas Werth, Tallandier, mars 2024, 352 pages, 22,90 euros

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