« La Servante Ecarlate », une fiction dans la réalité
Née en 1939 au Canada, Margaret Atwood écrit son premier livre en 1969. Au travers de ses sujets de prédilection, l’aliénation des femmes et la société de surconsommation, elle porte un regard visionnaire sur le monde qui l’entoure. Elle revient aujourd’hui sur le devant de la scène suite à l’adaptation en série tv de son livre La Servante écarlate.
« Voici ma servante Bilha. Va vers elle et qu’elle enfante sur mes genoux : par elle j’aurai moi aussi des fils »
Pollution. Problèmes environnementaux. Chute drastique de la fécondité. Dans un contexte de crise démographique aux Etats-Unis, une secte religieuse en profite pour prendre le pouvoir et instaurer un nouvel ordre.
Au fur et à mesure les femmes se retrouvent privées de liberté : Interdiction de travailler, interdiction de posséder un compte en banque, obligation de dépendance vis-à-vis de l’époux.
Un système de castes se met en place. Les femmes célibataires et stériles deviennent des Servantes, des Marthas, au service des Commandants à l’origine du coup d’Etat. Les femmes dites fertiles deviennent des Servantes Ecarlates. Leur rôle est simple : donner un enfant aux femmes des Commandants, tout comme Bilha a donné un enfant à Sarah, la femme d’Abraham.
C’est dans ce contexte que l’on découvre June, ou anciennement June, puisqu’elle a perdu son nom au profit de celui de Defred (Offred en version originale). Le De de l’appartenance, et Fred pour le nom du Commandant…
Elle nous raconte son histoire : la déshumanisation, la délation, les punitions… La solitude, surtout la solitude. Et pourtant l’espoir. L’espoir car elle se remémore son passé, sa vie avec son mari et sa petite fille. L’espoir car finalement elle n’est pas seule, et que la résistance s’organise…
Une impression de déjà-vu
Paru en 1985, adapté au cinéma en 1990 et en série tv en 2017, La Servante écarlate connais un succès grandissant. Pourquoi un livre écrit il y a plus de 30 ans revient-il ainsi sur le devant le scène ? Le bandeau de l’éditeur n’y va pas de main morte pour poser ce livre comme un opposant au temps actuel : « Le livre qui fait trembler l’Amérique de Trump ».
Tout simplement parce que ce livre se fait l’écho de sujets bien trop actuels : une fécondité en baisse dans l’ensemble des pays développés, la remise en question de l’IVG en Espagne en 2014, puis en Pologne en 2016. A cela s’ajoute une montée des totalitarismes religieux et une perte de liberté et de droits civils, la suspension de l’Habeas Corpus aux Etats-Unis suite aux attentats du 11-Septembre et les nombreux renouvellement de l’état d’urgence en France.
La Servante Ecarlate nous laisse donc un goût amer…
Deux voix, une seule personne
Tout au long du récit deux voix s’entremêlent, deux voix qui viennent pourtant de la même personne : June. Elle nous raconte son présent, lorsqu’elle devient Defred, avec des phrases courtes, simples, sans sentiment. Defred est déshumanisée, elle n’est qu’un objet.
Lorsque Defred se retrouve seule dans sa petite chambre, elle laisse June et ses souvenirs réapparaître. Lors de ces flash-backs, la lecture est davantage tournée vers la rêverie, les sensations. Elle nous emmène dans son monde intérieur, ce qui lui permet de rester debout. Et c’est aussi ce mélange de ces deux styles d’écriture qui permet à La Servante Ecarlate de nous prendre aux tripes.
Avec La Servante écarlate, Margaret Atwood est entrée dans le cour des grands en compagnie de George Orwell et Adlous Huxley, en proposant une vision d’un potentiel monde totalitaire. A la différence près qu’elle n’a pas souhaité inventer un nouveau monde avec de nouvelles technologies, mais s’est inspirée de ce que les hommes étaient déjà capables de faire…
A lire ou à voir absolument. Ou les deux.
Margot Baudonivie
Margaret Atwood, La Servante écarlate, traduit de l’anglais (Canada) par Sylviane Rué, Robert Laffont, juin 2017, 521 pages, 11,50 euros