Les fractures de l’Espagne de 1808 à nos jours

Professeur d’histoire en classes préparatoires et spécialiste de l’Espagne, Benoit Pellistrandi publie ici Les Fractures de l’Espagne, version remaniée d’un ouvrage publié précédemment chez Perrin en 2013, Histoire de l’Espagne, des guerres napoléoniennes à nos jours. Sa thèse est simple : retracer l’insertion de l’histoire espagnole dans un contexte européen (et mondial) là où l’historiographie a longtemps glosé sur l’exception espagnole.

Un XIXe siècle nostalgique de la puissance

Il faut dire que l’Espagne contemporaine naît de la guerre contre Napoléon, qui se solde par la défaite de la France, « superpuissance » de l’époque. Mais les problèmes de l’après-guerre sont nombreux : rejet du libéralisme par le roi Ferdinand, difficultés économiques et endettement, perte de la plus grande partie de l’empire colonial et de ses ressources. Mais l’Espagne, note notre historien, n’est pas à l’écart des débats politiques qui traversent l’Europe issue des traités de Vienne, notamment sur la question du libéralisme qui resurgit tout au long du siècle. La Catalogne entre aussi peu à peu dans un processus d’industrialisation. Reste que des problèmes intérieurs comme les guerres carlistes (du nom de Carlos, frère de Ferdinand VII, qui revendique la succession à la place de sa nièce Isabelle) secouent le pays, avec une première période républicaine (1873-1874). L’Espagne devient peu à peu une périphérie de l’Europe et perd ses dernières colonies contre la puissance montante, les États-Unis, en 1898. Ce qui génère nombre de débats…

De la guerre civile à la transition

On ne refera pas ici le récit complet du XXe siècle espagnol (et Benoit Pellistrandi le fait remarquablement), marqué évidemment par la guerre civile espagnole et la défaite des Républicains. L’Espagne s’est signalé par une montée rapide vers la radicalité, d’un côté comme de l’autre. Franco, personnage très critiqué à raison, a en tout cas su mettre son pays sur le chemin de la croissance économique, source de changements sociaux contraires à ses vœux. En désignant Juan Carlos comme successeur, il ne pouvait savoir que ce jeune roi serait celui qui engagerait son pays sur le chemin de la démocratie, puis vers le choix de l’Europe, sans compter une constitution qui donnerait aux provinces et surtout au Pays basque et à la Catalogne une autonomie complète.

Un pays en crise ?

Un des intérêts de l’ouvrage est de montrer comment l’Espagne, après avoir réussi son décollage économique, réussi sa transition économique, choisi l’intégration européenne, est entré dans un moment périlleux avec la crise catalane. Celle-ci a des causes historiques profondes, interroge la notion de nation espagnole et nul ne songe à interroger la réalité de l’identité catalane. Reste que la crise de 2017 reste difficile à comprendre, les nationalistes catalans ayant choisi face à un état central amorphe (mais il se ressaisira et pas forcément tout le temps dans le bon sens) d’engager une épreuve de force sans un soutien électoral décisif (je renvoie aux chiffres de participation de leur « référendum »). L’Espagne est aujourd’hui une nation fracturée, peut-être faite de nations différentes (et liées) : sa richesse ?

Sylvain Bonnet

Benoit Pellistrandi, Les fractures de l’Espagne, Gallimard Folio Histoire, mars 2022, 736 pages, 13,80 euros

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