Une cosmologie de monstres, l’horreur rôde près du seuil

Un jeune auteur pour une (encore) jeune collection 

C’est tout l’honneur de la collection « Imaginaire » de chez Albin Michel, dirigée par l’excellent Gilles Dumay (ancien patron de la collection Lunes d’encre chez Denoël) d’accueillir des nouveaux auteurs de science-fiction et de fantasy. Il y a eu Sue Burke (Semiosis), Jean-Michel Ré (La Fleur de Dieu) et voici maintenant Une cosmologie de monstres de Shaun Hamill. Il s’agit là du premier roman d’un auteur inconnu en France. Placé sous le signe de Lovecraft, bénéficiant d’un avis assez élogieux de Stephen King, disons qu’on en attend d’emblée beaucoup. 

Affaires de famille

Faisons tout d’abord connaissance avec Harry Turner et la jeune Margaret. Celle-ci veut faire ses études, peut-être épouser un type que lui recommande sa mère quand elle fait la connaissance de ce jeune homme mystérieux, Harry, fan de Lovecraft et de comics. Il l’emmène dans une maison hantée où elle a la trouille de sa vie et aussi une révélation : 

Un avenir différent se dessinait, plus difficile : un mariage modeste, angoissant, des enfants trop nombreux, une existence dans un quartier populaire ; des économies de bouts de chandelles, les friperies, les vêtements déjà portés qu’on se refile au sein de la famille. Elle ne se sentait ni la force ni l’envie de lutter.

Elle garda tout ça pour elle ; à mon père, elle se contenta de dire, prenant son visage entre ses mains : « ma mère va te détester. » 

Quelques années plus tard, le couple Turner élève ses filles Sydney et Eunice dans une grande maison de la ville de Vandergriff. Harry est devenu ingénieur mais a de plus en plus un comportement étrange, lunatique. Et puis les filles rapportent aux parents qu’elles entendent des bruits bizarres, sans que leur mère les croie. Mais le pire est à venir : Harry est atteint d’un cancer. Il élabore le projet d’une maison hantée pour gagner un peu plus d’argent au moment où sa femme tombe enceinte. Quand Noah naît, son père est à l’agonie…  

Illustration de couverture par Aurélien Police

Quelques années plus tard : âgé de six ans, le petit Noah entend des bruits à sa fenêtre et l’ouvre : il s’agit d’un monstre aux yeux oranges avec un museau saillant et des griffes. Nourri des histoires de Lovecraft lues par sa sœur (quelle famille !), Noah n’a pas peur et l’accueille. Bientôt sa sœur Sydney, en violent conflit avec sa mère, disparaît : le monstre en est-il à l’origine ? Noah grandit et découvre bientôt que sa famille est liée à un autre univers peuplé de monstres. Et lui tisse un lien particulier avec le sien…  

Un roman à clefs 

Une cosmologie de monstres est d’abord l’histoire d’une famille. Les Turner sont en contact avec une autre réalité (il faut lire pour comprendre pourquoi) qui influence leur vie. Ils endurent des chocs, affrontent des morts violentes (comme toute famille). Cela, assez efficacement, renforce chez le lecteur un sentiment d’identification aux personnages. C’est aussi un roman référentiel (on a pensé ici à Morwenna de Jo Walton) où abondent les références à Lovecraft. On retrouve aussi dans ce récit ancré dans le quotidien l’idée de la réalité monstrueuse qui affleure à côté de notre réalité « normale », plus proche de l’univers de Stephen King. Enfin on trouve un récit dans le récit : nous découvrons petit à petit l’histoire d’Harry Turner via un récit écrit par sa fille Eunice puis repris par Noah (le narrateur du livre).

Ce roman très ambitieux devient alors une mise en abyme du genre et impressionne le critique blasé. 

Sylvain Bonnet 

Shaun Hamill, Une cosmologie de monstres, traduit de l’anglais par Benoît Domis, illustration de couverture d’Aurélien Police, Albin Michel, « Imaginaire », octobre 2019, 416 pages, 24 eur

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