Les Passagers, le thriller d’anticipation de John Marrs

Dans un futur proche, l’Angleterre a choisi de passer, sur l’ensemble du territoire, aux voitures autonomes. Une révolution technologique, un investissement colossal, un progrès ! Mais quel impact pour les valeurs humaines ? C’est tout le sujet du thriller d’anticipation de John Marrs, Les Passagers.

Huit passagers, huit histoires

S’il n’y a quasi plus d’accidents sur les routes, les rares cas sont toujours mortels pour les piétons. C’est ce qu’en juge une commission qui a non seulement les pleins pouvoirs mais aussi les pleins pouvoirs. Et elle ne rend de compte à personnes ! Jusqu’au moment où elle est prise en otage par celui qu’on va appeler Le Hacker. Les otages ? Huit passagers pris au piège de véhicules programmés pour se percuter. Si on ne joue pas à son petit jeu, il en fait exploser un. Si on tente d’interférer dans son petit jeu, il en fait exploser un.

Et il sait tout ! En plus d’avoir un contrôle absolu des véhicules (images et son !), il a truffé la salle de réunion de micros et de caméras. D’un point de vue narratologie, on a l’absolu de ce qu’on nomme le point de vue de Dieu ! Impossible à localiser, impossible à battre sur son propre terrain, il va falloir se plier à sa fantaisie. Et décider de la vie d’un seul et de la mort des sept autres…

Huit innocents piégés, ou bien huit cas choisis judicieusement pour donner plus d’impact à cette mise en scène macabre ? Le hacker pose un marché immoral : dans le temps imparti avant l’impact, choisir qui sera le seul passager qui sera sauvé. Il laisse à chacun la possibilité de défendre sa cause… mais il connaît tous leurs petits secrets et manipule tout le monde. Y compris les membres de la commission. A quelle fin ?

Morale et politique

Le Hacker semble avoir pour ambition de dénoncer le fonctionnement de la commission. Mais aussi du principe même des véhicules autonomes. Et le faire publiquement : tout est retransmis en direct sur tous les réseaux sociaux et par toutes les chaines de télévision, qui, en plus, produisent leurs propres images des voitures. Ceux qui vont juger sont-ils plus moraux que le Hacker ? Son chantage n’est pas gratuit, et ne vise pas simplement à démontrer que le système inattaquable qui protège les vies en les confiant à l’IA est aussi faillible que tout le reste ? Cette attaque n’est-elle pas liée, aussi, à une mise en cause des décisions — et de leurs faces cachées — qui ont conduit les politiques à transformer la société ?

En douce, John Marrs peint aussi une société qui s’abandonne aux technologies et à l’Intelligence Artificielle. Car ceux qui s’émeuvent de cette attaque continue d’utiliser l’IA pour ouvrir leur maison… Et ces réseaux sociaux qui font leur beurre de cette macabre poursuite ? Et les chaînes de TV en direct qui en font leur sujet principal, voire exclusif ?

Le scénario au cordeau prend le lecteur assez vite et va le conduire de surprises en surprises. Il y a une efficacité redoutable dans Les Passagers ! Au final, qui est le monstre, celui qui met ce jeu en place ou celui qui en jouit comme spectateur et y trouve son adrénaline ?

Les Passagers ne laisse pas d’interroger son lecteur, signe d’un roman qui voit juste et pose les bonnes questions au regards des « progrès » de la société. John Marrs, après Âmes Soeurs — dont on parle pour une adaptation Netflix — confirme son talent de conteur pointant son curseur sur l’hypothèse la plus noire possible du réel à venir. Une démonstration !

Loïc Di Stefano

John Marrs, Les Passagers, traduit de l’anglais par Vincent Guilluy, Hugo Thriller, novembre 2019, 438 pages, 19,95 eur

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