Heroic trio + Executioners, les super-héroïnes à la sauce wu xia

L’épouse d’un inspecteur de police, une chasseuse de primes et une assassin unissent leurs forces afin de rétablir l’ordre et la justice dans Hong-kong, même si les sacrifices pour y parvenir sont grands.

Pour un large public, Johnnie To reste l’homme derrière les polars stylisés The Mission, Breaking News, PTU ou le diptyque Election. À l’image de son compatriote John Woo, le cinéaste apprécie l’œuvre du français Jean-Pierre Melville au point d’insuffler l’esprit de son modèle à sa filmographie. D’ailleurs le réalisateur est celui qui respecte le mieux les thématiques de l’auteur du Samouraï avec l’américain Michael Mann, solitude, cynisme et fraternité dans l’épreuve.

Et si ces préoccupations ont toujours habité les longs-métrages de Johnnie To bien avant que l’occident s’intéresse avec lui pour The Mission, il s’est quelque peu adouci avec le temps. Comme si une partie de sa rage de son âpreté s’était évanouie au profit d’une certaine mélancolie au fil des ans. Il faut avouer que pendant de nombreuses années, il faisait preuve d’une véritable cruauté à l’écran, comme lorsqu’il crucifiait ce policier dans The Big Heat, un film noir excessif qui reçut à juste titre la mention Catégorie 3 en Asie (classification pour les œuvres montrant des scènes d’une extrême violence).

Une posture qu’il adopta également sur son entreprise super-héroïque en 1993 puisqu’il s’essaya au genre avec Heroic Trio, un long-métrage de vigilante sauce wu xia qui rassemblait les étoiles montantes devenues depuis des vedettes internationales, à savoir Michelle Yeoh et Maggie Cheung. Le succès aidant, Heroic Trio eut le droit à une suite, Executioners, co-réalisée cette fois avec Ching-Siu tung. Avec ces deux titres, Johnny To signa des travaux singuliers, proches de certains codes hollywoodiens mais marqués plus que jamais par les influences locales et le style de Melville.

Heroic Trio : origines sanguinaires

Un homme alité dans une chambre d’hôpital récolte dans sa main les larmes de son épouse, accablé elle-même par un lourd secret. Cette scène d’une simplicité déconcertante, intense, annonce cette fameuse verve mélancolique qui animera l’art de Johnny To dans le futur. Mais pour l’heure, Heroic Trio s’appuie autant sur la corde dramatique que sur des bouffées de violence, abandonnées plus tard par le cinéaste. Sorti en 1993, après les travaux de Tim Burton sur Batman (et le Superman de Richard Donner était encore gravé dans toutes les mémoires), Heroic Trio puise une partie de son inspiration chez les célèbres super-héros américains, notamment auprès des justiciers masqués réfractaires à l’autorité à l’instar de l’alter ego de Bruce Wayne.

Cependant, en lieu et place d’un récit des origines, à l’image de celui initié par Richard Donner, Johnnie To préfère décrire le quotidien d’une Hong-Kong en proie à la pauvreté et à la corruption, incarnant ici un pendant asiatique crédible à l’emblématique Gotham et instiller dans sa narration un tableau politique féroce. On est frappé par les hôpitaux de fortune présentés ou par l’abandon du maintien de l’ordre aux mercenaires et aux redresseuses de torts. Par ailleurs, il n’hésite pas à fustiger les autorités locales tout en laissant planer le spectre de la rétrocession prochaine à la Chine. L’ambivalence morale règne comme aux plus beaux jours du film noir américain.

Et c’est dans cette atmosphère chaotique que le metteur en scène déploie son dispositif super-héroïque, usant pour l’occasion des artifices martiaux empreints à Tsui Hark ou Chang Cheh et se réfère au folklore mythologique du wu xia. Les protagonistes défient la gravité dans des joutes épiques et rugueuses. En outre, la fameuse cruauté évoquée survient aux moments les plus inattendus. Des otages sont décapités ou abattus sous les yeux effarés de la police, de jeunes enfants s’adonnent au cannibalisme ou un bébé subit un traumatisme crânien en pleine rixe. Durant ces moments anxiogènes, chacune doit faire un choix quitte à abandonner celui qu’elles aiment… quant à Johnnie To, il affiche une véritable maîtrise dans un genre pourtant étranger à la culture locale. 

Executioners super-héroïnes à l’heure post apocalyptique

Sept mois plus tard, Johnnie To, assisté de Ching-Siu Tung, accouche d’Executioners, se déroulant des années après, l’histoire d’Heroic Trio. Il plonge Hong-kong dans une ambiance post apocalyptique digne de Mad Max, après un accident nucléaire. Tandis que le gouvernement s’oppose à une secte mystérieuse, les héroïnes du premier opus suivent des trajectoires différentes pour survivre et vont devoir opter encore une fois pour des choix radicaux afin de secourir la ville et ses habitants.

S’il surprend moins que son aîné et s’avère moins virtuose techniquement, Executioners s’enfonce en revanche davantage dans la noirceur. Johnny To et son comparse s’adonnent à un véritable jeu de massacre dont les personnages ne ressortiront pas indemnes. Suppliciant ses protagonistes (il faut endurer le calvaire de Maggie Cheung en prison ou celui enduré par Michelle Yeoh durant l’affrontement final) ou renonçant à la moindre once de morale (un proche du président assassine celles qui viennent de sauver la vie du chef d’État), le long-métrage n’épargne personne, ce jusqu’à sa conclusion.

Fascinants objets filmiques dans le paysage cinématographique hongkongais de l’époque, Heroic Trio et Executioners confirmaient le talent d’un auteur en devenir. Symboles avant tout d’un savoir-faire national, ces longs-métrages super-héroïques singuliers méritent bien plus qu’un simple coup d’œil : la reconnaissance d’un art.

François Verstraete

Films hongkongais de Johnnie To avec Michelle Yeoh, Maggie Cheung, Anita Mui. Durée 1h27 et 1H37. Disponible en DVD/ Blu Ray aux éditions Carlotta

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