La situation de Flaubert dans la modernité
L’œuvre de Flaubert sera toujours source de recherches et de réflexion. Sous la direction de Gérard Genette et de Tzvetan Todorov, un recueil paru en 1983 aux éditions du Seuil montre que malgré le projet fou d’annoncer sa mort Gustave Flaubert reste l’auteur le plus moderne et vivant qui soit.
Pour la critique, l’œuvre de Flaubert est une source inépuisable, « une pierre de touche ». Quelle est la situation de Flaubert dans la modernité ? Quels sont les aspects de son œuvre devenus lointains et étrangers ? Qu’est-ce qui rebute aujourd’hui dans son œuvre, ou qui demeure le lieu presque obligé de référence théorique et d’épreuve méthodologique ?
Pourquoi la littérature de Flaubert pose-t-elle problème, en-dehors du fait qu’il a chamboulé la manière d’écrire, passant de l’exercice balzacien d’un métier que l’on apprend et que l’on exerce à une littérature comme difficulté permanente, une sorte de vocation interdite.
C’est ce double-bind que Kafka exprimera plus tard et disant : “Dieu ne veut pas que j’écrive mais moi je sais que je dois écrire.” »
Objet de prédilection pour la critique, l’œuvre de Flaubert a commencé par un classicisme assumé, Madame Bovary, jusqu’à l’œuvre inachevée par vocation, Bouvard et Pécuchet qui représente cette littérature qui découvre « l’essence ultime », probablement ce qui inspirera les nouveaux romanciers, c’est-à-dire de n’avoir plus rien à raconter, plus rien à « représenter »,
mais de se livrer à ce mouvement circulaire qui figure à la fois son impossibilité, et l’impossibilité d’y renoncer. »
Flaubert vivant
Peut-on donc dire que l’œuvre de Flaubert, comme l’écrit Gérard Genette dans la préface de ce recueil d’articles, est en partie une œuvre morte, « qui n’aurait plus rien à nous dire, ni peut-être à nous cacher » ? Cet ouvrage s’est donné pour mission de creuser cette question, parmi d’autres, et invite des intellectuels et spécialistes à nous offrir des pistes, à proposer leurs analyses, toujours construites et brillantes, qui permettront au passionné de Flaubert, ou au simple lecteur de suivre des pistes et de mieux cerner la complexité d’une œuvre qui fait toujours autant réfléchir et écrire à propos de la littérature.
Raymonde Debray-Genette, Michel Foucault, Jean Starobinski, Jacques Neefs et quelques autres nous offrent leur lumière sur des points de détail parfois comme le réalisme subjectif dans L’Education sentimentale, ou l’échelle des températures, la parole des personnages, etc. Bien sûr, et c’est la période qui le voulait, ses études sont marqués par le formalisme et pour certaines un peu datées. Mais le souffle général de l’ouvrage est généreux et rend grâce à la magie du verbe flaubertien. Car Flaubert, aussi habilement disséqué, résiste de toute ses forces, dans son texte même, à ce qu’avait annoncé Roland Barthes : la mort de l’écrivain.
Une lecture difficile mais jamais laborieuse. Un éclairage érudit et savant, mais jamais dogmatique autour d’une œuvre magistrale qui rayonne encore, un siècle après, dans nos cœurs et dans nos esprits. Les théories perdent de leur éclat, font date, passent les unes après les autres. Mais l’œuvre reste. Mais Flaubert demeure le vivant essentiel de la littérature française.
Marc Alpozzo
Gérard Genette et Tzevan Todorov (sous la direction de), Travail de Flaubert, Points, octobre 2017, 256 pages, 8,30 euros
Avec les contributions de Raymonde Debray-Genette, Claude Duchet, Michel Foucault, Claudine Gothot-Mersch, Claude Mouchard, Jacques Neefs, Michel Raimond, Jean-Pierre Richard, Jean Rousset, Jean Starobinski