Solstice d’hiver, Alain, les Juifs, Hitler et l’Occupation

Lisant avant sa parution le Journal inédit du philosophe Alain (Emile Chartier, 1868-1951), grande figure de la philosophie morale de la première moitié du XXe siècle, Michel Onfray, toujours prêt à dégommer une nouvelle cible (après Sartre, Freud, etc.), pointe plusieurs énormités, notamment son admiration pour Hitler, son indifférence à la « question juive » voire son antisémitisme ainsi que son « pantouflage » …

Pour Onfray, donc, il y a un énorme hiatus entre le philosophe pacifiste Alain, marqué par l’expérience de la Première Guerre mondiale où il s’est engagé volontaire et a refusé les honneurs d’un grade, et le vieil homme encroûté dans sa petite province qui, voyant les postes émérites lui échapper au profit de candidats juifs, a nourri un antisémitisme revanchard et médiocre. Médiocre comme il se le reproche lui-même, pour ainsi dire :

 

[…] il ne fut pas coupable de haïr les Juifs mais de n’avoir pas fondé philosophiquement cette haine ! »

 

 

Les défenseurs vertueux d’un Alain pris par l’âge et l’abandon de soi ne peuvent pas prévenir toutes les critiques, car en matière de critique littéraire, par exemple, Alain reste très lucide. Alors pourquoi défaillerait-il ici et non là ? Pourquoi choisit-il de parler de tel événement et passe-t-il sous silence d’autres moment pourtant essentiels à la vie contemporaine ? « On ne trouvera rien sur le débarquement allié du 6 juin 1944. » Un lecteur attentif et pour partie émerveillé de Mein Kampf peut-il garder sa ligne claire d’une philosophie du bon sens et du pacifisme qui vire souvent la mauvaise foi et à l’aveuglement ?

 

le pacifisme n’est défendable que tant que la guerre n’est pas nécessaire »

 

Michel Onfray semble avoir mis le doigt sur un souci majeur : comment un philosophe engagé politiquement pour le pacifisme peut-il à ce point être aveugle aux problèmes de son temps ? Un philosophe doit-il nécessairement être inscris dans la Cité ? Et quand bien même, un philosophe ne peut-il pas se tromper sur ses engagements politique ? car enfin, combien étaient les français à être pétainistes en 1940 et gaullistes en 1945 ? Et surtout on attendrait d’un philosophe qu’il soit plus lucide ou éclairé que la moyenne…

Quoi qu’il en soit, ce court essai devra compter pour redéfinir la place d’Alain dans l’histoire de la pensée philosophique française et interroger le rôle du philosophe dans son engagement même. Souhaitons bon courage aux défenseurs d’Alain pour redorer son image, tâchée à présent d’antisémitisme.

 

Comment […] peut-on comprendre qu’un pareil homme, averti de la nature humaine comme il l’était, ait pu tenir des propos aussi indéfendables ? Alain antisémite ? Alain trouvant des qualités à Hitler ? Alain lisant Mein Kampf ? Alain estimant qu’il ne faudrait pas que de Gaulle gagne son pari de la Résistance ? Comment cela a-t-il pu être possible ? »

 

Loïc Di Stefano

 

Michel Onfray, Solstice d’hiver, Alain, les Juifs, Hitler et l’Occupation, Editions de L’Observatoire, mars 018, 96 pages, 12,50 euros

Laisser un commentaire