Cinq cartes brûlées, le thriller psychologique de Sophie Loubière

Quel peut être le destin d’une jeune fille sur laquelle le destin s’acharne et dont la lutte contre elle-même forme une partie du destin même ? C’est la question que pose le très noir roman Cinq cartes brûlées de Sophie Loubière.

un Attila en bermuda

Laurence Graissac (1) naît, et aussitôt son grand frère la hait. C’est l’ennemi qui viendra nuire à son royaume. Alors il va s’acharner à lui faire du mal. Physiquement, et moralement. Elle sera son souffre-douleur. Et personne n’intervient jamais pour la défendre. Et pour survivre, la petite n’a rien d’autre à faire que de se créer une carapace. Elle mange, devient énorme. Mais plus elle grossit, plus elle s’isole du monde, car la haine des gros — qui va jusque ses camarades de classe l’appelle Sergent Garcia — mais aussi plus elle devient elle-même.

Et quand au hasard d’un cours de sport elle découvre que sa masse peut être un avantage, sa vie va changer. Elle pourrait peut-être s’enfuir de cette famille, coincée dans une petite maison dominée par un compteur EDF qui la rend presque inhabitable à force d’ondes. S’enfuir aussi de cette charge d’une culpabilité que tout le monde fait peser sur elle et qui va organiser sa vie.

Je connais déjà la terreur, la souffrance, l’humiliation. Je veux apprendre d’autres règles, jusqu’au dégoût. Ne résister à aucune envie. Fermer les yeux sur mes souvenirs. Et laisser mon empreinte quelque part, comme une bête nue sur un lit de feuilles mortes. Retourner dormir avec le diable. / Gagner ma vie.

la vie comme une partie de carte

Cinq cartes brûlées commence par un bain de sang. Effroyable et sauvage. Puis on passe à autre chose, et tout le récit va se jouer comme une longue métaphore filée de l’univers des cartes. Celles avec lesquelles on joue. Celles qui distribuent le destin. Pourquoi cinq et pourquoi brûlées, c’est en lisant qu’on comprend que Laurence n’a pas eu toutes les cartes en main au départ, et qu’elle doit faire plus d’efforts que les autres pour devenir elle-même. Devenir quelqu’un. Une reine de cœur, si possible. Et de l’événement initial, il ne sera plus jamais question, mais tous les chemins de ce drame psychologique merveilleusement ciselé vont y conduire.

Cinq cartes brûlées est un roman étrange. On est emporté assez vite dans l’histoire de cette jeune femme qui attire tout le malheur de monde, et qu’elle nous émeut. Mais, malgré le prologue, on peine à comprendre à quel moment on va passer du drame au thriller. Et quand le roman s’achève, tout se remet à sa place et l’évidence apparaît : dès le début, c’était un grand roman noir qui se reconstruisait au fil des pages. Une grande réussite, et un personnage qui marque, longtemps.

Loïc Di Stefano

Sophie Loubière, Cinq cartes brûlées, Fleuve noir, 342 pages, 19,90 eur

(1) Lisez Sac de graisse…

Sophie Loubière reçoit le Prix Landerneau Polar 2020

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